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BIP N° 96 - Haïti - L'adoption en question

Haïti. 12 janvier 2010. Les témoignages sont là, implacables, crus dans le désespoir et l’horreur : «  un cataclysme », « un bombardement », « la guerre », « on n’a jamais vu ça », « on ne peut imaginer ». L’émotion, l’empathie. Les sentiments se bousculent et l’on comprend l’angoisse et le désespoir de ces couples adoptants qui ont noués des liens avec des enfants haïtiens dans l’attente de leur offrir une famille.

Or très vite les messages se brouillent, d’un côté résonnent les mots « orphelins»,  « détresse », « accueil », « famille ». Et de l’autre retentissent « réseaux », « traite des enfants», « enlèvements », « trafics », « marché de l’adoption ». D’un côté des parents en détresse, de l’autre des organisations de défense des droits de l’enfant –dont l’UNICEF, qui mettent en garde contre les adoptions illégales, qui appellent à la suspension de nouvelles adoptions en Haïti.

Et puis il y a tous les autres enfants, ceux qui n’étaient pas en cours d’adoption au moment du séisme, ceux qui sont décédés et que les parents pleurent, ceux qui ont perdu leurs parents, ceux dont on cherche les parents. Et tous ont en commun deuils, blessures, traumatismes, nécessité de survivre. Vigilance, décence, efficacité, d’autres mots, une complexité supplémentaire.

Au regard de l’adoption cette situation a un écho particulier en France, premier pays d’accueil pour les enfants haïtiens, selon l’Agence Française de l’Adoption (AFA). Ainsi, en 2006, sur les 1 300 enfants haïtiens adoptés dans le monde, 591 l’avaient été en France.

Dans ce contexte, pour que les enfants ne cumulent pas les traumatismes, pour que les réseaux maffieux qui s’activent immédiatement lors d’une catastrophe ne puissent opérer, la conduite à tenir ne s’inscrit certainement pas dans la précipitation. Mais elle doit également pouvoir évoluer.

Le 19 janvier, le Quai d’Orsay annonçait que « les enfants haïtiens pour lesquels un jugement a été rendu pourraient faire l’objet de transferts vers la France». Le 28 janvier, 904 familles étaient en contact avec le Service de l’Adoption Internationale (SAI), 392 se prévalant d’un jugement, concernant au total 450 enfants. 141 enfants sont arrivés en France.

Or nombreux sont les enfants dont le dossier n’avait pas encore franchi l’étape du jugement d’adoption mais avec lesquels les familles sont entrées en relation. Cela pourrait être un critère de regroupement. Mais très souvent « l’apparentement » est organisé par la crèche, privée : sans validation par l’administration haïtienne, sans « comparution » en présence des deux familles -biologique et adoptante- : les étapes n’ont pas été respectées. Certes des liens ont pu être créés. Pourtant le risque est grand de voir se rétracter les familles biologiques qui avaient projeté de confier leur enfant en adoption pour raisons économiques. Les enfants, arrivés en France dans des conditions difficiles, se trouveraient alors sans statut juridique. Enfin on assiste déjà au rejet, par des tribunaux français, de plusieurs jugements d’adoption pour dossiers incomplets.

Ainsi le chemin de crête est étroit. Dans l’intérêt des enfants la prudence est de mise. Un assouplissement pourrait être envisagé pour les « apparentements » validés, mais accordé au cas par cas. Il faudrait réunir à Haïti une commission franco-haïtienne pour garantir le secours d’urgence aux enfants, les droits de leurs parents biologiques et leur sécurité juridique en France. Dans des circonstances aussi terribles, la puissance publique est d’autant plus contrainte à la prudence que l’émotion est à son comble. Emotion et prudence sont antinomiques. L’intérêt des enfants haïtiens exige de les conjuguer.

Monique Cerisier-ben Guiga


Publié le 02 février 2010