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BIP N° 102 - La retraite de Rutebeuf

Que sont nos amis devenus
Que j’avais de si près tenus
Et tant aimés…

La complainte du pauvre Rutebeuf, combien de Français de l’Étranger peuvent la reprendre à leur compte. Après avoir enseigné le français, travaillé pour des ONG, monté des entreprises, été le pilier locale d’une ambassade, ils s’aperçoivent, au retour en France, qu’amis, fratries, parents sont dispersés ou disparus et qu’ils sont seuls ou presque, au pays natal, avec une retraite de quelques centaines d’euros. Accoutumés à l’adversité, ils se rétablissent, acceptent n’importe quels travaux, comme les immigrés, se contentent d’une petite place au soleil.

Les Français établis à l’Étranger, sont particulièrement vulnérables à une réforme des retraites fondée sur le seul report de l’âge légal et sur l’allongement de la durée de cotisation. La réforme de 2003, contre laquelle nous nous sommes vainement battus, a déjà produit des ravages dont nombre d’entre nous n’ont pas encore mesuré l’ampleur.

Un de nos points communs est la discontinuité de nos carrières : 3 ans de contrat ici, 2 ans d’activité indépendante là, des périodes de chômage, celles où on suit le conjoint, les périodes où des fonctionnaires doivent se mettre en disponibilité -c'est-à-dire suspendre leur carrière et leurs cotisations de pension- pour pouvoir être recruté local dans une école ou un poste diplomatique. Les Français résidant dans des pays au niveau de vie bas et à monnaie faible n’ont, quant à eux, pas même les moyens de cotiser volontairement au régime général de retraite de la sécurité sociale.
La précarité est notre lot, elle est cumulative et produit tous ses effets à l’âge de la retraite.
Nous voilà revenus à Rutebeuf.

Les Français de l’Étranger se retrouvent aux côtés des plus défavorisés, en particulier ceux qui ont connu de longues périodes de chômage, et aux côtés des femmes dont les retraites sont, aujourd’hui, deux fois moins élevées que celles des hommes.

Oui, il faut ajuster le système de retraite mais pas en faisant porter 90% de l’effort sur les salariés et presque rien aux revenus du capital. Le choix idéologique de Nicolas Sarkozy est une fois de plus sans ambiguïté.

Une autre réforme est possible, exigeante et juste. Elle passe par le partage de l’effort en taxant réellement les revenus du capital, par la baisse du taux de chômage, la formation des jeunes et la hausse du taux d’employabilité des seniors. Elle passe par la garantie du niveau de vie des retraités, par la prise en compte des choix individuels, notamment si l’espérance de vie est réduite par la pénibilité du travail. Elle passe enfin par le rétablissement de l’équilibre démographique avec un changement radical de la politique européenne en matière d’immigration, c'est-à-dire exactement l’inverse des choix à courte vue du gouvernement actuel.

Monique Cerisier-ben Guiga


Publié le 17 juin 2010