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BIP N° 94 - Douce France, cher pays de mon enfance …

« La France en garde à vue », c’était le titre d’un article du Monde voilà quelques mois. Il est toujours d’une brûlante actualité : six lycéens, dont quatre mineurs, ont été mis en garde à vue la semaine dernière après avoir tenté de murer l’entrée de leur lycée de Saint-Vincent-de-Tyrosse, dans les Landes, ceci pour protester contre la réforme des lycées. Si les faits sont répréhensibles, peut-être même pénalement réprimables, la réponse donnée par les autorités semble disproportionnée. Les députés socialistes qui se sont émus de ce placement ont rappelé « que le code de procédure pénale précise que la garde à vue doit être strictement limitée aux nécessités de la procédure et proportionnée à la gravité de l'infraction ». Et ils ont situé cet événement dans le contexte « d'une dérive qui entraîne une explosion des gardes à vue en augmentation de 71,6 % depuis 2002 et qui concerne aujourd'hui 1 % des Français chaque année ».

Car la garde à vue se banalise, conséquence de la politique gouvernementale  axée sur le tout-répressif et la « religion du chiffre ». Un délit de regard, une question aux forces de l’ordre jugée ironique ou insolente, une remarque  lors d’une interpellation trop musclée dans le métro et hop ! en garde à vue ! Les colonnes des journaux sont remplies de tels témoignages. Parfois le code de procédure pénale lui-même est un peu chahuté : le 30 novembre dernier à Bobigny un juge a déclaré nulle une garde à vue au motif que la personne arrêtée « n’a pu bénéficier de l’assistance d’un avocat durant son interrogatoire, ni même avant toute audition, ou encore en début de garde à vue ». La France a été à plusieurs reprises condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour de tels motifs. Qu’importe, le tout-sécuritaire nous apportera le bien-être malgré nous.

Figurez-vous en effet que le pouvoir UMP veille sur notre tranquillité avec d’autant plus d’ardeur que les élections régionales approchent. Les fauteurs de trouble ? On les connaît : selon l’UMP ils ont pour nom niqab, minaret, immigration, mariages blancs, gris, avec ou sans drapeaux, auvergnats si chers au ministre Hortefeux …  Il y a aussi ceux qu’on ne nomme pas, les « On va se faire bouffer (...) Il y en a déjà dix millions (..), dix millions qu'on paie à rien foutre » dénoncés avec style par André Valentin, maire UMP  de Gussainville. Et puis il y a les jeunes, voire les très jeunes.

Rebelote, les compères Hortefeux et Estrosi nous ressortent des cartons le couvre-feu des mineurs de moins de treize ans, semblant oublier que la plupart des arrêtés municipaux précédents ayant le même but (Orléans, Dreux et Gien) ont été annulés par la justice administrative. S’il ne s’agit pas de refuser un débat de fond sur ce sujet, il faut dénoncer clairement la manœuvre pré-électorale, d’autant que le manque de policiers rend ces mesures illusoires.

De même, plus le gouvernement peine à réduire l’insécurité, plus il annonce des mesures censées réduire la délinquance des jeunes … Pourtant, selon le sociologue Laurent Muchielli, spécialiste de la délinquance des mineurs, aucune statistique ne permet d’affirmer que cette dernière a augmenté ces dernières années. Il ajoute même que « la frénésie sécuritaire qui tient actuellement lieu de politique n’est en réalité qu’une forme particulière de gestion de l’urgence. Elle ne voit guère plus loin que le bout de son nez ». L’objectif est avant tout d’entretenir les peurs supposées de l’opinion par des déclarations martiales, plutôt que d’apporter une véritable réponse politique à l’insécurité persistante. Les jeunes ont bon dos.

Frénésie … Le terme est bien choisi pour décrire l’hyperactivité de notre président, non ?

Claudine Lepage


Publié le 15 décembre 2009