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BIP N° 63 - La France doit faire plus d'efforts pour l'aide alimentaire

Cinq morts en dix jours, des manifestations violentes et la démission du Premier ministre votée le 12 avril par le Sénat haïtien ont mis la question de la hausse du prix des céréales sur le devant de la scène. Les cours du blé, du maïs et surtout du riz, subissent des hausses depuis le début de l’année qui atteignent parfois 60%. Ce sont pourtant des aliments de base et les émeutes se multiplient : du Pakistan au Mexique, en passant par l’Egypte et la Mauritanie... 37 pays au total sont touchés par cette grave crise alimentaire qui pousse les populations à se révolter. Nous faisons donc face à une menace sérieuse, tant pour ces hommes et ces femmes qui ont faim, que pour la sécurité et la paix mondiales.

Le phénomène n’est pourtant pas nouveau et était prévisible puisque cela fait au moins 3 ans que les prix augmentent. Une fois de plus la communauté internationale réagit tardivement lorsque les faits prennent une ampleur démesurée. Cette poussée des prix peut s’expliquer par différents facteurs sur lesquels nous avons plus ou moins de pouvoir d’action. Tout d’abord elle est due aux conditions climatiques avec des cycles de sécheresse et de pluie qui s’accélèrent, ce qui joue sur les récoltes.
Ensuite, elle est tirée par une demande mondiale à la hausse : les pays émergents tels que la Chine ou l’Inde, en s’enrichissant, changent de régime alimentaire et deviennent des consommateurs de viande. S’il est tout à fait positif que ces peuples accèdent à une alimentation plus complète, il faut savoir que les bovins se nourrissent de céréales, notamment d’une grande quantité de soja, ce qui pousse la demande et les prix vers le haut. Jusque là, nos possibilités d’action sont faibles, sauf à modérer notre consommation de viande.
Par contre, nous sommes en mesure d’agir sur les autres facteurs de la crise. La production de biocarburants, qui se fait à partir de céréales, ne cesse de croitre face à l’envolée des cours du pétrole et participe à l’augmentation des prix agricoles. Il appartient à la communauté internationale d’établir des priorités : on ne peut financer les moyens de transport des pays riches avec la nourriture des pays pauvres !
Enfin, face à la crise financière, les céréales sont devenues une valeur refuge pour les spéculateurs. Certains constituent des stocks de maïs, de riz ou de blé pour les écouler au meilleur prix alors même que des gens ont faim. C’est tout simplement inacceptable ! Il est grand temps de mettre des limites à l’irresponsabilité de ces spéculateurs qui, pour certains, nous ont déjà menés dans l’engrenage de la crise actuelle. Ils doivent être sanctionnés.

Face à la gravité de la situation, il est indispensable que la France, l’Europe et la Communauté Internationale se mobilisent. Il faut évidemment répondre à l’appel du programme Alimentaire Mondial qui demande 500 millions d’euros pour financer l’aide d’urgence. Mais cela ne saurait suffire. C’est sur le long terme qu’il faut agir en aidant ces pays à développer leur agriculture vivrière afin qu’ils assurent leur autonomie alimentaire. Nous devons nous y engager car c’est sous la pression des organisations internationales et des pays riches que ces Etats ont abandonné la politique agricole destinée à leurs populations. Ils ont préféré importer les produits que l’Europe et les Etats-Unis leur proposaient. Ceux-ci étaient en effet beaucoup moins chers car très largement subventionnés. Les pays en voie de développement ont au contraire été incités à se concentrer sur des monocultures d’exportation –dont les cours baissent actuellement- pour faire rentrer des devises dans leurs caisses. Nous sommes donc en partie responsables de la situation de dépendance dans laquelle ils se trouvent et il est de notre devoir de les aider. Il est par exemple envisageable de les laisser augmenter leurs barrières douanières pour permettre à leur production locale de se développer et de se diversifier. Les cultures traditionnelles qu’ils ont abandonnées, telles que celles du manioc ou de l’igname en Afrique subsaharienne, doivent être reprises et modernisées.
La crise actuelle n’est pas due à une saturation de la production mais plutôt à une mauvaise répartition de celle-ci et à un grand nombre de terres inexploitées ou mal exploitées. Il est essentiel que les pays en voie de développement modernisent leur système agricole et s’entendent sur des politiques régionales de gestion de l’eau : c’est là que se situe la principale solution à la crise. Le doublement de l’aide alimentaire annoncée par Nicolas Sarkozy est donc une bonne chose : l’aide sera portée à 63 millions d’euros. Mais elle est insuffisante : rappelons pour comparaison que l’Etat est en train de chercher 1,2 milliard d’euros pour financer la suppression de la publicité sur les chaînes publiques (encore une fois, une question de priorité : la pub ou la faim dans le monde ?). Et elle est même hypocrite quand le président s’enorgueillit de sa décision alors qu’il diminue, pour la première fois depuis 2001, de 15% l’aide publique au développement de la France à destination des pays pauvres, en passant outre nos engagements pris en la matière.

Ce que nous donnons aux autres n’est pas une perte pour nous-mêmes : c’est une nécessité pour ces pays, une gageure pour la paix et un pas vers un monde meilleur. Commençons donc par là.

Richard Yung


Publié le 22 avril 2008