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BIP N° 90 - La « Jungle de Calais » : derrière les mots, la honte

« […] c'était le 17 juin. Tôt le matin, plus d'une quarantaine de policiers ont bouclé le campement pour ensuite vider tentes et cabanes de leurs occupants. Aussitôt après, un bulldozer entrait en action et détruisait abris, nourriture, vêtements, y compris les effets personnels, papiers, argent, photos de famille... »

Cet extrait du Monde des 27 et 28 septembre derniers décrit le démantèlement d’un campement de réfugiés à Loon-Plage, près de Calais. « Effets personnels, papiers, argent, photos de famille… » tout ce que ces réfugiés démunis possédaient, encore écrasé, réduit en bouillie par les chenilles d’un bulldozer, certainement manœuvré par un bon gars qui faisait son boulot, sous les ordres d’un officier de police qui exécutait la mission donnée par un ministre de la République Française… Comment lire cela, imaginer cela, sans éprouver une révolte viscérale et se remémorer les heures les plus noires de notre histoire ? Combien de décennies s’écouleront-elles avant qu’un Président de la République batte la coulpe de la nation devant un monument érigé à la mémoire des migrants de Calais ?

Le 22 septembre dernier, le campement de fortune des demandeurs d’asile qui stationnent à Calais en attendant une opportunité de se rendre au Royaume-Uni, parmi lesquels beaucoup d’Afghans, a été détruit devant des dizaines de caméras. Le but affiché par le gouvernement dans cette opération largement médiatisée : démanteler les réseaux de passeurs. Difficile d’y croire quand ces demandeurs d’asiles, dont beaucoup sont adolescents, se retrouvent en conséquence encore plus isolés et vulnérables, à la merci de personnages mal intentionnés !

Dans cette opération de communication gouvernementale, rien n’est laissé au hasard, surtout pas le choix des mots.

On plante le décor : on parle de «  jungle ». Des abris de bric et de broc ont été construits en lisière de zone boisée. C’est le prétexte saisi. On n’a pas parlé de « forêt », de « bois »… Bizarrement, on a préféré un terme empreint d’exotisme nauséabond, évoquant la sauvagerie et les animaux menaçants qui rôdent à l’abri de la végétation. Ces exilés qui tentent de franchir la Manche sont-ils des êtres humains, ou bien des bêtes féroces ?

On parle aussi d’« évacuation » : c’est propre, clinique, destiné à sauver des personnes dont la vie et la sécurité sont menacées. La réalité est autre : on prive des réfugiés qui font halte sur le chemin de leur exil, de leur abri de fortune pour les disperser aux quatre coins de l’hexagone sans se préoccuper de la suite.

A force d’être lus et entendus, ces mots peuvent faire leur œuvre. La terminologie a été soigneusement sélectionnée ; la propagande fait son chemin, toute réaction de contestation est anéantie. Face à cette anesthésie généralisée, nous devons réagir. Eviter à tout prix la mise à distance. Il faut rendre hommage aux associations qui réintroduisent de l’humanité bafouée par le gouvernement : Gisti, Salam, Terre d’errance et bien sûr l’historique Cimade, qui fête cette année ses 70 ans.

Toutefois, chaque citoyen, chaque parlementaire est responsable. Les acteurs politiques ne doivent pas abandonner aux seules associations la gestion de cette situation. Ils doivent assumer leurs responsabilités en garantissant le respect des droits de l’homme pour toutes celles et ceux qui (sur)vivent sur notre territoire. Sur le terrain parlementaire, il nous faut continuer le combat pour que la législation soit mise en conformité avec les principes de la République, alors que depuis 2002, elle s’en éloigne de plus en plus.

Monique Cerisier ben Guiga


Publié le 01 octobre 2009