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BIP N° 60 - Fin de la Françafrique : vraiment ?

« La France n'a pas vocation à maintenir indéfiniment des forces armées en Afrique » a déclaré Nicolas Sarkozy la semaine dernière, dans un discours en totale contradiction avec celui qu’il avait prononcé à Dakar il y a à peine sept mois. Il prétend ainsi mettre fin à la « Françafrique » tant décriée qui entretient depuis 40 ans un système postcolonial injuste et stérile. L’intention serait louable si elle n’était pas aussitôt frappée de lourds soupçons. D’abord parce qu’on ne sait quel crédit accorder à un discours diamétralement opposé à celui fait au Sénégal. D’un côté le Président affirmait que l’Afrique n’était pas assez entrée dans l’histoire, d’un autre il vient souligner ce que l’histoire de la France doit à ce continent. Ensuite parce que l’attitude de la France envers l’Afrique n’a pas changé d’un iota : la crise tchadienne nous en a encore donné la preuve le mois dernier. On sait que notre pays a vendu des armes au gouvernement tchadien  et que les forces françaises ont combattu aux côtés de l’armée tchadienne contre la rébellion, tandis que les forces tchadiennes arrêtaient arbitrairement les dirigeants de l’opposition démocrate.

Certes, il n’était sans doute pas illégitime d’aider à contenir une rébellion dont les auteurs, venant de l’entourage du président, recherchaient davantage une répartition plus favorable à leurs intérêts des prébendes pétrolières que le bien du peuple. Mais l’intervention française ne devait pas servir de paravent à des arrestations arbitraires contre des démocrates sincères ou à couvrir des actes de torture. Il est tout aussi insupportable de penser que ce soutien de la France soit l’une des conditions pour que la grâce tchadienne soit accordée aux six condamnés de l’Arche de Zoé. Comme l’écrivait Jean-François Bayart dans un article du Monde, tout se passe comme si « six coupables blancs valent quatre innocents noirs et le sort de centaines de victimes anonymes envoyées ad patres par des munitions françaises. »

Sans la France, le gouvernement d’Idriss Déby ne pourrait se maintenir. Au Tchad, en Centrafrique, dans d’autres anciennes colonies, en l’absence de l’armée française, le gouvernement et l’État s’effondrent. C’en est au point qu’en Centrafrique, l’armée française protège les populations des exactions de l’armée nationale. Sans présence militaire française en Afrique, des situations d’anarchie barbare comme en ont connu le Libéria, le Sierra Leone se multiplieraient. Les ONG, les institutions internationales doivent leur sécurité à une armée française apte à mener des opérations d’évacuations d’urgence comme celle menée à N’Djamena au début du mois de février. Tous les Français et les étrangers rapatriés ces dernières années éprouvent une grande dette de reconnaissance envers ces soldats français dont certains, parmi eux, ont été blessés lors de ces actions dangereuses. Ce n’est donc pas l’armée qu’il faut incriminer mais le fait que le gouvernement français préfère la mettre au service des dictateurs plutôt qu’au service des peuples et des démocrates. La France choisit la fausse sécurité offerte par les dictateurs, leur système répressif assorti de corruption, à toute évolution politique, évidemment incertaine.

Comment ne pas s’indigner de l’hypocrisie de la France, prompte à saisir (en vertu d’accords anciens qui n’ont désormais plus le moindre sens) la nécessité de préserver la sécurité de ses ressortissants et des autres étrangers pour maintenir au pouvoir des dirigeants corrompus qui mènent leur peuple à la ruine ? La proposition du président de revoir ces accords va donc dans le bon sens mais elle manque de clarté. Une nouvelle fois, il fait des annonces et reste vague, attendant sans doute de voir le cours que prennent les choses pour dissiper le flou. Sa position est d’autant plus ambiguë qu’il s’est clairement rangé du côté du pouvoir tchadien pendant la crise.

Par son action, la France se rend complice de graves atteintes portées aux droits de l’Homme, mais également du maintien de millions de vies dans la misère la plus totale. L’administration tchadienne n’est qu’une coquille vide, inefficace et corrompue qu’il est nécessaire de contourner pour mener la moindre action de développement. Toute action menée au niveau ministériel est condamnée, et le peuple doit se contenter de quelques initiatives locales forcément moins ambitieuses de la coopération française et des ONG.

Le Tchad n’est qu’un exemple parmi tant d’autres : la République Centrafricaine est également un État en faillite. Dans beaucoup de pays, la misère est si grande que la violence est sous jacente et qu’il suffit d’une étincelle pour la faire jaillir. Les évènements qui se déroulent actuellement au Cameroun l’illustrent parfaitement. Ces États auraient besoin d’un ambitieux programme d’action pour prévenir les conflits en luttant contre la pauvreté par le développement économique et la lutte contre la corruption, en mettant en valeur les vertus du dialogue et de la concertation dans un système pluraliste et en instaurant une presse vraiment libre. Sans s’immiscer directement dans la politique de ces pays, la France pourrait jouer un rôle d’impulsion au lieu de se cantonner à celui, bien peu glorieux, de pansement militaire.

Il est temps que la France prenne réellement ses responsabilités en commençant par peser de tout son poids pour obtenir la libération immédiate des prisonniers politiques. Il est également urgent de revoir nos accords et de les conditionner fermement à des exigences de développement, de respect des droits des citoyens et de démocratie. Nous le devons aux peuples africains comme nous nous le devons à nous-mêmes et à nos idéaux.

Monique Cerisier ben-Guiga.


Publié le 04 mars 2008