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Suppression des allocations familiales : une mesure indigne pour masquer l'impéritie de la politique éducative du gouvernement

Le Sénat a adopté ce mercredi 15 septembre, sans modification, la proposition de loi dite de « lutte contre l’absentéisme scolaire » commandée par le gouvernement au député Ciotti, par ailleurs secrétaire national de l’UMP… à la sécurité !

Conformément donc à sa logique sécuritaire appliquée, cette fois, à l’éducation, le gouvernement ne propose qu’un remède pour lutter contre cet absentéisme: la sanction financière.

Conformément à sa politique de désignation de bouc-émissaire le gouvernement stigmatise cette fois les parents « démissionnaires » qui seraient, en fait, davantage intéressés par l’obtention de leurs allocations familiales que par l’avenir de leurs enfants !

Nous ne pouvons accepter cette politique faite d’amalgames (absentéisme = violence scolaire = délinquance) et de faux-semblants (le coupable est repéré donc le problème n’existe plus).

Cette suspension – suppression des allocations familiales est une mesure tout à la fois injuste, discriminante et inefficace :

-    Elle ne fera qu’ajouter la misère à la misère, alors même que la Cour des Comptes a mis en évidence, dans son rapport de mai dernier, la corrélation entre niveau social et réussite scolaire.

-     Elle dévoie la fonction des allocations familiales, qui ne sont pas des bons points aux « bons » parents, mais sont destinées à compenser les charges familiales des seules familles à partir de deux enfants.

-    Elle ne fournit aucune solution à un absentéisme essentiellement lié au décrochage scolaire, inhérent, bien souvent à une orientation subie.

A nouveau le gouvernement est « hors sujet » en préférant une politique de coup d’éclat, traduite ici par des mesures simplistes et populistes, à une politique éducative ambitieuse de réduction des inégalités.

Retrouvez ci-dessous mon intervention pour soutenir l’amendement de suppression de l’article qui transpose dans le code de la sécurité sociale le principe de suspension des allocations familiales et ici le rapport du groupe socialiste du Sénat sur « l’égalité des chances dans l’enseignement primaire et secondaire" comportant, notamment, la contribution qui m’a été demandée sur l’enseignement français à l’étranger. 


Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Lepage, pour défendre l'amendement n° 11 rectifié.

Mme Claudine Lepage : M. Le ministre, les professionnels de l’éducation s’accordent à dire que l’élément déterminant dans la lutte contre l’absentéisme scolaire réside dans la relation avec le professeur. Logique empathique, tutorat, travail en réseau, suivi individuel…voilà ce qui fonctionne pour faire renouer un élève avec l’assiduité scolaire. Et non la stigmatisation et la culpabilisation par l’argent. Jamais vous ne restaurerez l’autorité de parents dépassés ou désemparés, par le biais de la suspension – suppression des allocations familiales. L’autorité parentale ne se monnaie pas. Ni le goût de l’école d’ailleurs ! Vous avez déjà dû faire marche arrière avec la fameuse cagnotte. Après la carotte, vous utilisez maintenant le bâton… qui est tout aussi inefficace ! Nous sommes totalement opposés à cette instrumentalisation de l’argent comme moteur d’une pseudo responsabilisation.

Votre dispositif répressif, qui ne vise que la seule présence en classe, ignore totalement ce qu’on appelle les « absents cognitifs ». La présence physique ne fait pas la présence aux apprentissages. Il ignore tout autant les stratégies d’évitement mises en œuvre par les élèves en souffrance à l’école : être présent physiquement dans l’établissement mais aller le plus souvent possible à l’infirmerie quand on a évidemment la chance de bénéficier de la présence d’une infirmière dans l’établissement. Or ces comportements appellent des interrogations essentielles pour qui veut vraiment lutter contre l’échec scolaire ? Comment redonner envie d’apprendre à des élèves qui ne comprennent pas le sens des apprentissages, le sens de ce qui leur est demandé en classe ? Pour lesquels la relation à la culture scolaire voire à la communauté scolaire même est problématique ?

Avec ces questions nous touchons au cœur de la problématique de l’absentéisme scolaire. Nous ne le réduirons pas si nous n’apportons pas un panel de réponses pragmatiques et diversifiées, centrées sur l’acte pédagogique et sur le suivi par la communauté éducative au sens large, des élèves qui ont le désamour de l’école. L’ennui à l’école, l’impression de ne pas pouvoir y trouver sa place, voilà le point de départ de l’absentéisme scolaire, auquel peut s’ajouter des difficultés familiales de tous ordres.

Vous allez nous répondre, Monsieur le Ministre, par votre nouveauté de la rentrée et une énième annonce : le « programme CLAIR ». Il s’inscrit dans la continuité des états généraux de la sécurité à l’école et a été présenté comme un outil de lutte contre la violence scolaire. Faut-il donc rappeler qu’il s’adresse aux élèves perturbateurs, et non pas aux décrocheurs ? Là encore vous êtes dans la stigmatisation.

Tout comme les internats de réussite, ou la nouvelle organisation des rythmes scolaires, ce programme ne s’adressera qu’à une infime portion d’élèves. Une politique d’expérimentations sur des publics ciblés et très limités ne fait pas une politique éducative d’égalité des chances. Elle accentue même les inégalités car c’est sur les moyens destinés à la masse des établissements extérieurs à toute expérimentation que sont pris ceux destinés aux « happy few ». Sans parler de l’assouplissement de la carte scolaire qui aboutit à la ghettoïsation des établissements les plus fragiles…

Quant à la prévention de l’échec scolaire, vous nous répondrez « plan de prévention de l’illettrisme ». M. Le Ministre, le meilleur plan de prévention de l’illettrisme, et surtout le plus efficace, c’est la préscolarisation à l’école maternelle, tout particulièrement pour les enfants les plus éloignés de la culture scolaire.

L’étendue et la diversité du vocabulaire d’un enfant sont la condition sine qua non d’une bonne entrée dans la lecture. L’école maternelle joue un rôle fondamental dans l’acquisition et la maîtrise de ce vocabulaire.

C’est là que doit se réduire l’écart entre des enfants qui entrent en maternelle avec un nombre de mots acquis déjà important, une maîtrise de la langue orale déjà conséquente et les autres. Après, c’est déjà trop tard.

M. le Ministre, vous faites fausse route. L’objectif de notre école républicaine doit être la réussite de tous. Un objectif de justice sociale, d’émancipation et de promotion collective, qui ne peut être atteint que par une politique éducative de réduction des inégalités ambitieuse. C'est pourquoi, mes chers collègues, nous vous demandons la suppression de l'article 2 de cette proposition de loi.

 


Publié le 17 septembre 2010