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JUSTICE - Morts sur ordonnance

Ce mercredi 3 décembre, le recteur André Varinard va remettre à la garde des sceaux Rachida Dati les conclusions des travaux de la commission que la ministre avait mandatée pour réformer la justice des mineurs. Un projet de loi devrait être présenté à l’été 2009.

Les propositions contenues dans le rapport qui sera remis à la ministre sont particulièrement alarmantes. L’ordonnance de février 1945 relative à l’enfance délinquante disparaîtrait pour laisser place à un code de justice des mineurs, code dans lequel le préambule de l’ordonnance qui prévoit « le primat de l’éducatif sur le répressif » serait supprimé, « la finalité éducative » des sanctions pénales devant pallier cette disparition…

Dans la même veine il est prévu de fixer l’âge de la responsabilité pénale à 12 ans, soit deux ans en deçà de la moyenne européenne (14 ans) et deux ans au dessus du Royaume-Uni (10 ans). Ce qui fait écrire à l’infatigable Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfant de Bobigny, « Ne mégottons pas : en prison à 3 ans ! ».

S’il serait irresponsable de refuser tout débat sur ces questions de société,  il convient avant tout de ne pas se laisser imposer un discours et une méthode qui le fausseraient.

D’abord parce que les chiffres du ministère de la justice préparant ou accompagnant les conclusions de la commission Varinard sont présentés de telle manière que 204 000 mineurs seraient mis en cause dans des faits graves. L’essentiel tient dans la qualification de ces derniers, qualification qui, par exemple, va estimer aussi grave un vol de CD qu’un trafic de drogue … Noircir le tableau de l’insécurité a toujours été le péché mignon du pouvoir actuel. Le discours sécuritaire se vend  bien, même en période de crise.

Ensuite parce que tenir ce discours c’est aussi en quelque sorte revendiquer ses propres défaillances : comment d’un côté prétendre que la délinquance des mineurs explose et de l’autre se vanter d’avoir fait diminuer celle-ci depuis 2002 ? La méthode est connue : on travestit la réalité au gré des besoins politiques du moment. Les grands médias, friands de ce genre d’informations, feront caisse de résonance sans trop réfléchir et le tour sera joué.

Tout cela pourrait sembler incohérent. En fait, de plus en plus décomplexée, l’UMP affiche son vrai visage : rappelez-vous les travaux de l’INSERM qui s’intéressait au dépistage des enfants violents dès l’âge de 3 ans, rappelez-vous les tests ADN et le fichier EDVIGE, rappelez-vous le projet du ministre Darcos de faire effectuer une veille d'opinion sur internet afin de savoir ce qu'y écrivent les enseignants, rappelez-vous de tout cela et vous lirez les conclusions de la commission Varinard d’un autre œil.

Bien évidemment, dans le même temps que l’on se propose d’abaisser l’âge de la responsabilité pénale on retire les moyens de fonctionner à la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) afin de convaincre l’opinion publique, chiffres à l’appui, que l’on a raison de vouloir incarcérer plus tôt les mineurs, tout autre accompagnement étant vain. Ben voyons.

Seulement voilà : le chiffre tue parfois et pas uniquement chez Brice Hortefeux. Le récent suicide d’un mineur à la prison de Metz, les suicides ou tentatives de suicide des jeunes en centre éducatif fermé ou en EPM (établissement pénitentiaire pour mineurs) nous obligent à nous rappeler qu’en fait de mineurs, c’est d’enfants dont on parle, de nos enfants, de personnalités en train de se construire. Et qu’à ma connaissance la prison n’a jamais constitué un lieu de socialisation, d’intégration ou d’apprentissage de la citoyenneté …

Alors ordonnance de 1945 ou pas, nous ne pouvons laisser déclarer pénalement responsables et emprisonner des enfants de 12 ans, au risque de les voir se détruire. Ce doit être notre combat. Quelle est donc cette société que l'on nous prépare, société qui n’aurait que cette réponse à apporter aux premières déviances de ses enfants ?

Claudine Lepage


Publié le 01 décembre 2008