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Institut Français: la fin d'un naufrage ?

par Mme Catherine Tasca, Sénatrice des Yvelines, ancien Ministre, et Mme Monique Cerisier-ben Guiga, Sénatrice représentant les Français établis hors de France

 Au cours d’un lent naufrage, l’espoir renaît lorsque le bateau semble retrouver la maîtrise de son cap.

C’est peut-être ce qui arrive, ce que nous espérons tout du moins, après tant d’années de délitement du réseau culturel français dans le monde : centres culturels, alliances françaises, centres de recherche perdaient de leur substance et étaient voués à la disparition. Le budget 2009 donnait le coup de grâce à la très ancienne politique culturelle volontariste de notre pays dans le monde. Dès 1909 le « Service des Oeuvres » du Quai d’Orsay avait inventé le « soft-power » avant la lettre. Allions-nous voir la France s’en priver un siècle plus tard, quand l’Espagne avec ses instituts Cervantès, la Chine avec ses centres Confucius commençaient à s’en inspirer ?

M. Bernard Kouchner a annoncé dans sa conférence de presse du 25 mars 2009 une réforme de notre réseau culturel à l’étranger. Il répond ainsi à nos alarmes réitérées. Depuis longtemps, le Parlement, ses commissions des Affaires étrangères et des Affaires culturelles, et la presse, se faisaient l’écho de la crise profonde que traverse la coopération culturelle internationale française.

Les propositions du Ministre sont-elles à la hauteur des enjeux ? Il est trop tôt pour en juger. Mais comment interpréter l’absence de toute référence à la culture dans la dénomination de la nouvelle direction générale chargée de la mondialisation, du développement et des partenariats, ou la vacance depuis déjà plusieurs mois du poste de directeur de la coopération culturelle au Quai d’Orsay? Au moment où ce ministère multiplie les ambassadeurs thématiques sur les sujets les plus divers, est-ce que cela veut dire que la culture n’est plus une fin en soi mais seulement un aspect de la mondialisation ?

La principale innovation de cette réforme consisterait en la création d’une agence chargée de la promotion de notre culture hors de nos frontières, qui regrouperait les différents organismes existants. Un nom a même été trouvé pour ce regroupement, « Institut français ».

L’impact réel de ce nouveau dispositif dépendra des mesures prises au moins sur trois sujets stratégiques : l’architecture de l’Agence culturelle et son pilotage politique, la gestion des ressources humaines et la stabilisation des financements.

 Une Agence culturelle

La création d’un établissement public doté d’autonomie, qui rassemblerait toutes les structures dédiées aux échanges culturels, universitaires et scientifiques de la France, avec les centres culturels à l’étranger et en partenariat avec les Alliances Françaises, pourrait contribuer à rationaliser l’action culturelle à l’étranger, à lui donner davantage de cohérence et de visibilité.

Toutefois cela ne dispensera pas l’Etat, et au premier chef le ministère des Affaires étrangères et européennes, associé au ministère de la culture, de définir clairement les objectifs stratégiques. A cet égard, on peut avoir quelques inquiétudes. Déjà, en matière d’audiovisuel extérieur, le ministère des Affaires étrangères et européennes a renoncé à son rôle de pilotage au profit d’une société holding, malgré l’importance que représente ce secteur pour notre influence culturelle et linguistique. Avec la nouvelle agence, il ne faudra pas aboutir à un organisme financé par l’Etat sans véritable pilotage stratégique.

Pour assurer un pilotage effectif , le ministère des Affaires étrangères pourrait être assisté d’un organe politique interministériel, par exemple sur le modèle de l’ancien Conseil de l’audiovisuel extérieur. Celui-ci fixerait les grands objectifs assignés à notre action culturelle, y compris l’audiovisuel extérieur, selon les priorités géographiques et diplomatiques.

 Les agents.

Aucune réforme de notre action culturelle à l’étranger ne peut faire l’impasse sur la question de la gestion des ressources humaines. A l’inverse de l’Institut Goethe ou du British Council, les personnels employés dans les centres et les instituts culturels français, qu’ils soient fonctionnaires détachés ou contractuels, ne font pas carrière dans le réseau culturel. Soumis au hasard des nominations, pas toujours formés aux tâches de gestion, ni à la culture du pays d’exercice, ces personnels, qui ne peuvent espérer rester plus de trois ans au même poste, accomplissent souvent un travail remarquable sans aucune perspective de carrière. Or, on ne devient pas du jour au lendemain conseiller culturel ou directeur de centre culturel ou d’Alliance Française. C’est un métier dont on fait l’apprentissage en assumant les fonctions variées avec des responsabilités croissantes. Par ailleurs, les recrutés locaux, sur lesquels beaucoup repose ne bénéficient ni de la reconnaissance sociale, ni d’une juste rémunération. La France a besoin d’un vivier de professionnels qui feraient carrière en passant du ministère de la culture aux DRAC, des services des relations internationales des universités, aux centres culturels et aux Alliances Françaises, des établissements culturels en France aux services culturels à l’étranger. Sans une profonde modification du recrutement, de la formation et de la carrière des personnels, il n’y aura pas de réforme fructueuse de l’action culturelle.

 Le nerf de la culture

L’ensemble des crédits consacrés à notre diplomatie culturelle représente actuellement pour l’Etat un montant annuel évalué à 136 millions d’euros, soit un montant inférieur à celui de la Bibliothèque nationale de France ou de l’Opéra de Paris. En dix ans, un tiers de nos centres et instituts culturels situés en Europe, dont plus de la moitié en Allemagne ont été fermés.

Ceux qui prônent la fermeture de certains centres et préfèrent une action culturelle « hors les murs » oublient que dans certains pays, notamment en Afrique, le centre ou l’institut culturel français reste souvent le véritable, voire le seul, centre de la vie culturelle, qu’il sert de pont entre la culture française et la culture locale. Certes, lorsque le metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski se produit à Paris, c’est à l’Opéra Bastille ou à l’Opéra Garnier et non à l’institut polonais. Mais, ce que l’on oublie, c’est que cet artiste se produit en France, précisément parce qu’il a longtemps fréquenté le centre culturel français de Varsovie…

Le ministre des Affaires étrangères et européennes vient d’annoncer une enveloppe de 40 millions d’euros supplémentaires. Tant mieux. Mais, cette enveloppe ne suffira pas à compenser la réduction programmée d’un quart des crédits consacrés à l’action culturelle extérieure pour 2009-2011. Disons les choses clairement : l’action culturelle extérieure sert depuis trop longtemps au ministère des Affaires étrangères de variable d’ajustement. Cela doit cesser.

La création de « L’Institut Français » sera une chance pour la France, la Francophonie et les échanges culturels internationaux si des moyens financiers stables sont mis au service de ce réseau.

En ces temps de crise économique mondiale, la France n’a pas tant d’atouts pour assurer son rayonnement et son influence à l’étranger qu’elle puisse impunément sacrifier l’action culturelle qui est reconnue sur tous les continents comme sa marque identitaire et sa contribution au dialogue interculturel.


Publié le 30 mars 2009
Mis à jour le 30 mars 2009