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Interventions budgétaires - Action extérieure de l'état

1er décembre 2007

M. le président. - Nous allons examiner les crédits de la mission « Action extérieure de l'État ».

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.  - La lettre de mission que vous a adressée le Président de la République, en août dernier, monsieur le ministre, a souligné l'importance du réseau culturel français à l'étranger. Le programme 185 reflète-t-il cette orientation ? L'annonce d'une nouvelle réorganisation inquiète dans un tel contexte budgétaire : 60 emplois sont supprimés au sein du réseau en 2008 et les crédits d'intervention sont tous amputés.

La défense de la langue et de la culture française est pourtant cruciale pour notre diplomatie, comme le rappelle Hubert Védrine dans son rapport sur la mondialisation au Président de la République. Or, les moyens humains et financiers de notre action culturelle extérieure sont comme une peau de chagrin sans cesse attaquée par la réorganisation permanente et l'incertitude sur les crédits. Vos services et les opérateurs trouveront-ils toujours plus de mécènes étrangers si le levier du financement public français disparaît ?

L'année 2008 confirme la tendance à la réduction de l'action culturelle extérieure et à l'affaiblissement de notre diplomatie d'influence. En veut-on quelques exemples ? Les crédits destinés à la promotion de la langue française ne représentent plus que 15 millions d'euros pour l'ensemble des États membres de l'Union européenne et des grands pays développés. On ne peut s'étonner dès lors que les Allemands, les Italiens ou les Espagnols n'apprennent plus le français et que le français recule dans les institutions européennes.

Alors que la France attire deux fois moins d'étudiants européens que l'Allemagne et trois fois moins que le Royaume-Uni, l'enveloppe destinée aux bourses pour les étudiants étrangers ne représente plus que 18 millions d'euros. Le nombre de bourses délivrées à des étudiants étrangers est en forte diminution : 18 500 en 2006 contre 22 500 en 2002, alors que des étudiants brillants sont sélectionnés par les meilleures universités et les grandes écoles.. Le British Council alloue, lui, 220 millions d'euros à la coopération universitaire, et les Allemands trois fois plus. La mesure la plus spectaculaire de ce projet de loi de finances est la prise en charge, pour un montant de 20 millions d'euros, des frais de scolarité des élèves des classes de terminale des lycées français à l'étranger, suite à l'engagement de campagne du Président de la République. Les familles peuvent s'en réjouir, et surtout Jean-Marie Messier, dont les enfants sont scolarisés à New York... Nous passons d'une logique fondée sur des critères sociaux à une logique de prise en charge intégrale des droits de scolarité pour les élèves français des seules classes de lycée, quels que soient les revenus familiaux. Les crédits de bourses sur critères sociaux régressent et les bourses destinées aux élèves francophones sont brutalement supprimées. Plusieurs ont dû quitter des lycées français partout dans le monde. Bravo !

Ne sous-estimons pas les prévisibles effets pervers de cette mesure, et tout d'abord, l'effet d'aubaine pour les entreprises qui prenaient en charge les frais de scolarité des enfants de leurs salariés expatriés. Ensuite, l'augmentation du nombre d'inscription d'élèves de nationalité française conduit à s'interroger sur la capacité d'accueil de nos établissements, d'ores et déjà saturés, et sur le risque d'éviction des élèves étrangers. L'avantage consenti touchera 15 000 à 20 000 élèves sur plus de 300 000 enfants français immatriculés dans les consulats, auxquels 300 000 euros sont consacrés, soit 1 euro par enfant alors que 5 800 000 millions d'euros seront accordés aux seuls lycéens scolarisés en terminale en Amérique du nord.

Aucune distinction n'a été faite entre les établissements dont l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (Aefe) peut contrôler les tarifs et les autres, ce qui risque d'inciter à l'inflation des droits de scolarité. Plus grave, ce choix réduit gravement les capacités des établissements, y compris la soixantaine relevant de l'État, à faire face aux charges salariales et immobilières que l'Aefe transfère sur eux. Pour 2006-2012, le besoin de financement de la politique immobilière de l'Agence a été évalué à 240 millions d'euros, soit 48 millions par an. La dotation de 8,5 millions pour 2008 est donc très insuffisante, d'autant plus que l'Aefe ne pourra plus puiser dans son fonds de roulement, comme l'a signalé le rapporteur général. Pour assurer la gratuité scolaire à une minorité de familles, il faudra alourdir la participation financière de toutes les autres.

N'aurait-il pas été préférable d'affecter la totalité des crédits additionnels aux bourses AEFE et aux investissements immobiliers qui profitent à tous les élèves ?

Compte tenu des circonstances tragiques au Liban, ne peut-on faire en sorte que la Mission laïque ne soit pas contrainte d'augmenter fortement ses frais de scolarité ? Leur charge ne doit pas devenir insupportable pour les familles.

La commission des affaires étrangères a néanmoins donné un avis favorable à l'adoption de ces crédits. (Applaudissements à gauche)

Mme Monique Cerisier-ben Guiga.  - Monsieur le ministre, vous avez la responsabilité de l'administration de près d'1,4 million de Français inscrits dans les consulats, soit la population d'un très gros département... sans oublier les Français qui se figurent le monde conforme aux catalogues de voyage, qui partent à l'aventure et attendent tout, ensuite, des services consulaires.

Ces services, nous dit-on aujourd'hui, coûtent trop cher et ne se justifient plus dans les pays d'Europe -les tâches correspondantes « pourraient être accomplies à Nantes par une plate-forme de télé-administration ». Mais combien coûte l'administration des Français des Bouches-du-Rhône ? Il y a la préfecture, les sous-préfectures, les mairies, les services sociaux du conseil général...

M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial.  - Demandez leur suppression !

M. Roger Romani.  - Supprimons le pays !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga.  - Nous ne sommes pas des citoyens à part entière : il y a une énorme disproportion entre les fonds consacrés aux Français de France et ceux consacrés aux Français de l'étranger, sans compter les touristes importuns ! (Marques d'indignation sur les bancs UMP)

On peut moderniser les procédures, comme en témoignent le service de l'état civil à Nantes ou le logiciel d'administration consulaire Racine. Mais ce serait une erreur de supprimer les procédures traditionnelles avant bonne fin de la transposition télématique. Nous avons vécu la crise des passeports en 2005 et 2006, ce fut une sale affaire.

Imagine-t-on confier les services rendus aujourd'hui par les consulats à une grande usine administrative ? Ayez à l'esprit que la démotivation des agents face à une tâche déshumanisée entraîne souffrance au travail et moindre implication.

L'Union européenne existe, les citoyens français n'auraient plus besoin de leur administration propre, avance-t-on encore. C'est faux, même en Allemagne ! On observe des discriminations à l'égard des étrangers. Des Français binationaux, de guerre administrative lasse, se résignent souvent à ne plus avoir que la nationalité de leur pays de résidence ! Nous avons pourtant besoin, n'en déplaise à certains, de Français plurinationaux, binationaux, polyglottes, franco-germano-vénézuéliens ou franco-américains. (Exclamations à droite)

M. Roger Romani.  - On a une seule nationalité, une identité nationale, pas vingt-cinq !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga.  - Croyez-vous en outre que le ministère des affaires étrangères gardera sa substance en dégarnissant les postes d'exécution et d'encadrement intermédiaire ? Il y perdra ce qui fait sa richesse : un personnel adaptable et connaissant une grande diversité de pays. Je m'élève contre la baisse des aides aux personnes en détresse. On renvoie les personnes les plus abîmées par la vie vers les sociétés de bienfaisance : adieu la solidarité nationale, place à la charité publique, nous revoilà au XIXe siècle !

Plus grave encore à mes yeux, les crédits de l'emploi et la formation professionnelle sont en chute depuis 2002, en dépit des résultats remarquables obtenus par nos structures consulaires ou associatives, pour un coût unitaire par placement cinq ou dix fois inférieur à celui de l'ANPE internationale. Pourquoi ruiner cette action sociale si productive ?

Je voudrais, à cet égard, rendre hommage à tous les agents de la direction des Français à l'étranger, à ceux qui « tiennent » face à une masse de travail ingérable dans les consulats d'Algérie et d'Afrique, à ceux qui ont subi le choc, à Rome, à Berlin, à Milan et ailleurs, du surcroît de travail induit par la suppression des autres consulats, aux agents de Paris et de Nantes, qui trouvent des solutions aux difficultés les plus épineuses de nos compatriotes expatriés...

M. Dominique Braye.  - Êtes-vous en campagne ?

Mme Monique Cerisier-ben Guiga.  - La baisse des moyens affectés à l'action diplomatique a des conséquences graves également. Trop d'ambassades, dans des pays sensibles ou en crise, fonctionnent avec deux ou trois diplomates -Kaboul par exemple, qui n'a pas davantage de monde que Trinidad-et-Tobago. Aussi grand soit le talent et le dévouement des intéressés, la qualité du travail s'en ressent. Et comment attirer des analystes, des négociateurs, des polyglottes dans un ministère où les perspectives de promotion sont à ce point bloquées ? Le rôle que la France peut jouer dans le rétablissement d'une paix durable dans les Balkans est réduit par des obstacles financiers dérisoires. La formation en langue française des officiers des armées de cette région, je pense à la très francophone Albanie, est supprimée parce que 20 000 euros disparaissent du budget !

Quelques questions sur la situation internationale, monsieur le ministre. Dans les Balkans, comment voyez-vous l'évolution de la situation au Kosovo ? Que pouvez-vous nous dire huit jours après l'échec de l'élection d'un président de la République au Liban ? Vous étiez à la réunion d'Annapolis : j'ai été étonnée de vous voir si satisfait du résultat.

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Je suis ainsi : la paix me satisfait toujours un peu...

Mme Monique Cerisier-ben Guiga.  - La déclaration finale écarte l'Europe, donc la France, ainsi que les pays arabes, des négociations futures, placées sous un strict contrôle américain ! Tout retour à la légalité internationale définie par l'ONU devient impossible ! La base territoriale d'un État palestinien a disparu du fait de la colonisation et de la construction du mur. Et pourtant on continue à alimenter le mythe d'un processus de paix. La France se fait complice de l'occupation en laissant Alsthom construire le tramway de Jérusalem destiné aux seuls colons de French Hill et en faisant signer le contrat en présence de son ambassadeur. La politique française à l'égard du Moyen-Orient n'est-elle pas en train de perdre sa crédibilité et son originalité ? Enfin, quelle est la légitimité de la conférence des donateurs qui va bientôt se réunir à Paris ? L'État d'Israël asphyxie l'économie palestinienne et fait financer son occupation militaire et sa conquête territoriale de la Cisjordanie par la communauté internationale ! Cessons de nous prêter à ce jeu !

Pour conclure, le groupe socialiste est inquiet, réticent, parfois en désaccord, avec la nouvelle politique étrangère de la France. Ce budget réduit excessivement les moyens de vos services, c'est pourquoi nous voterons contre. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Monique Cerisier-ben Guiga.  - Je voterai contre : une fois de plus, on tente de vider cette direction de ses moyens. Et l'on vante, dans le même temps, l'action culturelle et la diplomatie d'influence... Est-ce crédible ?

Le coût d'un visa a doublé en janvier dernier. On fait payer 60 euros aux demandeurs, que le visa leur soit ou non délivré après examen de leur dossier. Si l'on faisait remonter les bénéfices considérables ainsi engrangés, on aurait parfaitement les moyens de financer la biométrie. Ce déplacement de crédits est le prélude à un autre déplacement, l'an prochain, vers les services de l'immigration.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga.  - En Chine, grâce à Unifrance, le nombre des spectateurs de films français est passé en quelques années de 350 000 à 3 millions ; en Russie, de 45 000 en 1999 à 5 millions aujourd'hui.

Voix à droite.  - Démagogie !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga.  - Je ne cesserai pas de défendre les causes perdues ! Sans l'aide de l'État, le cinéma français ne pourra plus se développer dans des pays émergents ou difficiles comme ceux-là.


Publié le 04 décembre 2007