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Mission au Moyen-Orient - Communication en Commission

Le mardi 13 janvier 2009 j'ai présenté, avec M. Jean François-Poncet une communication sur notre premier déplacement effectué dans le cadre de la mission que nous conduisons au Moyen-Orient. Vous en trouverez ci-après  le compte-rendu tel qu'il est paru au bulletin des commissions.

TRAVAUX DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES.

La commission a entendu le compte rendu de la mission effectuée au Moyen-Orient (premier déplacement : Arabie saoudite, Yémen, Abu Dhabi, Dubaï, Qatar) du 19 au 30 octobre 2008 par M. Jean François-Poncet et Mme Monique Cerisier-ben Guiga.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga a tout d'abord rappelé les différentes étapes du déplacement dans la péninsule arabique qui a successivement conduit la délégation en Arabie saoudite, au Yémen, au Qatar et dans les Emirats arabes unis. Elle a précisé que cette mission avait été précédée de 19 auditions de diplomates, de chercheurs ou encore de membres des services de renseignements. La délégation a complété les 46 entretiens effectués au cours de la mission par une série de lectures qui lui ont apporté un éclairage décisif notamment sur les équilibres politiques à l'oeuvre en Arabie saoudite et sur les modes de légitimation de la famille Saoud face aux tribus. Elle a souhaité apporter, en complément des propos de M. Jean François-Poncet, des précisions sociologiques, géographiques et historiques.

Interrogée par M. Didier Boulaud sur les origines d'Oussama ben Laden, elle a indiqué qu'il était issu d'une grande famille de la bourgeoisie commerçante yéménite, alliée avec des familles du Hedjaz et originaire de l'Hadramaout, région frontalière de l'Arabie.

Elle a indiqué que la péninsule arabique était vue comme un grand tout alors qu'elle est marquée par les particularismes et autant de méfiances. Deux Etats de la péninsule sont très peuplés, l'Arabie saoudite, très riche, et le Yémen, très pauvre. Dans les autres Etats, la population est essentiellement étrangère. Il n'y a que 800 000 dubaïotes à Dubaï, le reste de la population est composé d'une majorité d'Indiens, de Vietnamiens ou encore de Népalais, ce qui pose un vrai problème d'identité et d'existence nationale.

L'autre trait marquant de la région est le manque d'eau. Les principales villes du Yémen ne sont pas approvisionnées en eau. Dubaï est dépourvue de systèmes d'assainissement, ce qui conduit à des situations assez effrayantes.

La réserve démographique de la région est le Yémen, alors que les Saoudiens imaginent de construire un mur sur la frontière.

M. Josselin de Rohan, président, a indiqué que le Yémen semblait une proie pour les islamistes.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga a estimé que ce pays, réunifié très récemment, où le pouvoir est usé, pourrait devenir un futur Afghanistan. Le président a tenu le pays, très pauvre, par une politique du « carnet de chèques ». Le voisinage de l'Erythrée et de la Somalie, avec leurs flux de réfugiés, est une source supplémentaire de déstabilisation.

M. Jean François-Poncet a rappelé que la mission confiée par le bureau de la commission avait le double objectif de publier un rapport d'information sur la situation du Moyen-Orient qui serait suivi d'un colloque. Ce rapport devra s'attacher à faire ressortir les caractéristiques principales de la région et à en évoquer les perspectives, en ayant à l'esprit ce que devrait être la politique européenne, la position et les intérêts de la France. Il a indiqué qu'en complément des quatre déplacements dans la région, une mission était prévue aux Etats-Unis, dont la politique constitue une des inconnues pour l'avenir du Moyen-Orient.

Evoquant les nombreuses auditions réalisées par les rapporteurs, il s'est déclaré frappé par la compétence des personnes travaillant en France sur le sujet. Il a indiqué que le déplacement dans la péninsule arabique répondait à deux préoccupations : se faire une idée des problèmes de la péninsule et de la façon dont ses dirigeants voient le Moyen-Orient.

Evoquant l'Arabie saoudite, il a indiqué que bien qu'un des analystes auditionnés ait décrit une situation prérévolutionnaire, ce n'est pas le sentiment qu'en avait retiré la délégation. Après la période de grande incertitude qui a suivi les événements de 2003, l'Arabie reste le pilier de la région, l'Etat le plus peuplé, dont le rôle régional et mondial, notamment comme premier producteur de pétrole de la planète, reste considérable. Le roi Abdallah, qui a exercé la réalité du pouvoir en qualité de prince héritier pendant longtemps, est un homme ferme et prudent, un réformateur déterminé, mais précautionneux. Il a fait adopter en 2006 une loi successorale créant un conseil d'allégeance qui comprend les enfants du roi Abdelaziz Ibn Seoud ou leur descendance, soit 35 membres chargés de désigner le successeur du roi. Il est assisté d'un comité médical qui peut constater une éventuelle incapacité. C'est un organisme stabilisateur alors que le saut de génération que constituera le passage aux petits-enfants du roi Abdelaziz est potentiellement source de déstabilisation.

La sécurité intérieure a été rétablie par une action policière à la fois efficace et intelligente qui s'accompagne d'une politique de réinsertion des personnes impliquées dans les attentats, que la hausse des prix du pétrole a permis d'accompagner financièrement.

Le pays dispose d'énormes ressources financières, 550 milliards de dollars de réserves et mène une politique de développement économique plus intelligente que lors des deux chocs pétroliers, marquée par la diversification et la construction d'infrastructures.

Pour autant, le pays n'est pas sans présenter certaines fragilités.

Il accueille 7 millions de travailleurs étrangers et comporte une minorité chiite installée dans les régions pétrolières et une minorité ismaélienne à la frontière du Yémen.

Les classes moyennes se jugent ignorées face au poids des religieux et une grande partie des jeunes est au chômage. On note cependant une évolution sociale certaine, notamment celle des femmes, dont le rôle dans les entreprises et les administrations est croissant.

Grâce au pétrole, à sa richesse financière, à son rôle de gardien des lieux saints, l'Arabie a un poids régional et mondial considérable. Ses prises de position internationales sont très retenues. Le plan de paix du roi Abdallah proposait ainsi le retour d'Israël dans les frontières de 1967 contre une normalisation des relations avec l'ensemble des Etats arabes. A la demande du président Karzaï, l'Arabie a engagé une entreprise de médiation en direction des Talibans.

Evoquant les Etats du Golfe, M. Jean François-Poncet a indiqué qu'ils étaient marqués par la faiblesse des populations autochtones. Le Qatar est le premier producteur mondial de gaz et dispose de ressources financières en proportion. Son rôle politique et de sécurité est moins lié à des moyens militaires propres qu'à la présence des forces américaines dans la région et à son rôle diplomatique qui contribue aux négociations de crises régionales. La place de la France a crû dans les Emirats où Abu Dhabi est son principal point d'appui. La France a signé avec ce pays un accord de défense en 1996, décision concrétisée par l'ouverture d'une base militaire française.

Evoquant ensuite le Yémen, M. Jean François-Poncet a considéré que s'il était vu en Arabie comme un Etat failli, ce n'est pas encore le cas. Des régions entières échappent certes à l'autorité du pouvoir central. Le nord, zaydite, est marqué par la rébellion huttiste qui a réussi à se maintenir face à l'offensive gouvernementale. Le sud, très longtemps autonome, est en sécession virtuelle. Le reste du pays est constitué de hautes vallées peuplées de tribus très autonomes. Des prises d'otages et des attentats ont lieu dans le pays, l'ambassade des Etats-Unis ayant été attaquée en mars 2008. Il semble qu'il y ait une communication régulière entre l'état-major de Ben Laden et certains groupes yéménites, mais il n'y a pas de traces de relations avec l'Iran.

Marqué par une natalité très élevée, le Yémen est le talon d'Achille sécuritaire de cette région, il faut par conséquent lui accorder de l'attention. L'Arabie saoudite est lasse de soutenir financièrement ce pays où la corruption est très importante. Elle a décidé d'installer une barrière électronique à la frontière.

Le président Saleh a été élu à deux reprises au suffrage universel sans que la sincérité du scrutin ait été mise en cause, mais son pouvoir ne s'étend pas très au-delà de la capitale, ce qui ne donne pas du pays une image très rassurante.

Evoquant enfin la perception par les Etats de la péninsule arabique des grands problèmes du Moyen-Orient, il a observé que si la question palestinienne était mise en avant, la véritable préoccupation de ces Etats était la nucléarisation de l'Iran. L'Arabie saoudite suit de près les événements du Liban avec le sentiment que l'Iran ne renoncera pas à son influence et fera durer les négociations. Questionnés sur ce qu'il convient de faire, les officiels font part de leur opposition à des frappes sur l'Iran, tandis que les think tanks considèrent qu'au-delà des positions officielles de façade elles paraissent à certains comme souhaitables et inéluctables, l'Iran n'étant en aucune façon disposé à renoncer à son programme nucléaire militaire.

Tous ont le sentiment que l'Irak n'éclatera pas et, tout en étant terriblement critique à l'égard de la politique menée par le président Bush, aucun n'envisage sérieusement le départ des Américains.


Publié le 21 janvier 2009