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Situation au Proche-Orient : Déclaration du Gouvernement suivi d'un débat

Je suis intervenue en séance publique lors du débat sur le Proche-Orient. Voici la synthèse de mon intervention.

Monsieur le ministre, vous avez fait état d'efforts couronnés de succès sur le terrain. Nous en prenons acte. Mais je crains que vous ne vous fassiez des illusions en imaginant que la France puisse être aujourd'hui un arbitre respecté par les deux parties. Ce n'est plus vrai pour l'opinion publique arabe. Le manque de cohérence de notre pays sur ce conflit, surtout pendant la présidence française de l'Union, nous prive d'une bonne partie de notre crédibilité. C'est la présidence française qui a donné le feu vert à l'offensive israélienne en lui faisant imprudemment le cadeau du rehaussement de son partenariat avec l'Europe, sans aucune contrepartie.

Et je crains aussi que l'image de votre accueil trop familier et trop amical de Mme Tzipi Livni sur le perron de l'Élysée à quelques heures du début des bombardements ne soit aussi un handicap aux yeux des Palestiniens et du monde arabe.

Depuis 60 ans, crise après crise, de blocus et de bouclages qui tuent à petit feu, en tirs de missiles qui tuent au hasard, d'attentats suicides en bombardements massifs, la guerre n'a jamais cessé sur la terre de Palestine. L'émotion nous étreint à la vue de la destruction de toute l'infrastructure civile de Gaza et de ses habitations, à la vue de ces blessés qui meurent malgré les soins de médecins exténués, à la pensée de ces familles exterminées, écrasées sous les ruines de leurs maisons, à l'idée de ces êtres humains brûlés vifs, coupés en deux ou mutilés par des bombes au phosphore.

Il y a six mois, j'étais à Gaza, j'y ai vu une population déjà sous-alimentée, prisonnière, devenue dépendante de l'aide internationale. Je revois ces enfants mal nourris, mal vêtus, claquemurés dans la touffeur de logements surpeuplés en parpaings et en tôles. Où sont-ils aujourd'hui ? Et dans quel état ?

Et pourtant, depuis 60 ans, Gaza n'est pas, d'abord, un problème humanitaire. C'est un problème politique posé par l'expulsion de centaines de milliers de Palestiniens en 1947 et 1948, chassés de leurs villes et de leurs villages et devenus réfugiés, pris dans la nasse de cet oasis et de ce port autrefois si prospère. Nous devons, pour comprendre, nous remémorer cette réalité historique si nous voulons un avenir pacifié, un jour de paix,

« Un jour de palme un jour de feuillages au front

«Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront »,

comme le disait Aragon.

Cette guerre nous concerne, nous Français, nous Européens, au premier chef. Sans les pogroms d'Odessa et d'Europe centrale, sans l'affaire Dreyfus, sans le génocide commis par les nazis et par trop de complices de toutes nationalités, cet État refuge aurait-il été nécessaire ? Aurait-il été établi dans une région du monde considérée par les Européens de l'époque comme colonisable ?

Nous avons une responsabilité historique, une dette, que les Palestiniens paient pour nous...

L'ONU a créé l'État d'Israël mais, ensuite, la communauté internationale n'a jamais fait respecter les contreparties, pourtant régulièrement proclamées, de la reconnaissance des droits du peuple palestinien, expulsé et nié, même dans son existence. Pourtant les résolutions de l'ONU, lorsqu'elles sont contraignantes, sont assorties de sanctions et, cela, pour les deux parties....

Nous avons encore en tête les espoirs d'Oslo le principe de la terre contre la paix, la naissance de l'Autorité palestinienne et la perspective, enfin, d'une normalisation d'Israël dans son espace régional. Nous n'avons pas voulu voir à quel point ce processus a tourné à vide après l'assassinat d'Yitzhak Rabin, ni à quel point la politique du fait accompli -par Israél- a pris le pas sur celle de la paix négociée.

Gaza marque la fin d'un leurre, d'un simulacre, celui du processus de paix palestino-israélien. Nous vivions dans l'illusion, entretenue par des années de réunions internationales répétitives qu'on s'acheminait vers une solution. La création d'un embryon d'État dans des frontières à négocier a réduit notre sentiment d'urgence tandis que la réanimation, à un rythme régulier, d'un processus moribond nous administrait, selon les termes de Dov Weisglass, directeur de cabinet d'Ariel Sharon, la « dose de formol » nécessaire.

Une visite sur place suffit à mesurer le divorce profond entre le processus de paix -avec lequel on nous endort- et la réalité des territoires palestiniens. La réalité, c'est la colonisation, qui a littéralement explosé depuis Anapolis, coupant la Cisjordanie en trois enclaves. La réalité, ce sont les obstacles à la circulation, les checks points, les bouclages inopinés, les routes de contournement et le mur de séparation qui ampute la Cisjordanie de 40 % de son territoire. La réalité, c'est une vie confinée que fuient ceux qui le peuvent, les jeunes, les mieux formés, en une hémorragie lente et provoquée. La réalité, ce sont des institutions politiques privées de la possibilité d'offrir à leur population un minimum de sécurité, de perspectives, de moyens de subsistance. Et depuis 2006, après l'échec du gouvernement d'Union nationale -que nous avons eu le tort de ne pas soutenir-, la réalité c'est une division politique profonde, des affrontements internes, la guerre civile.

Comment en sommes-nous arrivés là alors que les données de la solution sont connues ? Ce qui a fait défaut, c'est un arbitre impartial capable de préserver la dynamique de la négociation. La communauté internationale a eu le tort de soutenir obstinément la volonté d'Israël de mener des négociations bilatérales ; cela fait seize ans que ça dure : seize ans de trop ! En fait, on a laissé à la puissance occupante le soin de régler et, par conséquent, d'imposer les conditions de la fin de l'occupation. Dans une négociation sans terme défini, où la légalité internationale elle-même -et en particulier la résolution 242- devient objet de négociation, l'enlisement est inéluctable.

II faut sortir de cette logique. La première urgence, c'est le cessez-le-feu, bien sûr mais, dans notre bouche, c'est une pétition de principe. Ensuite, l'urgence, c'est de restaurer l'unité palestinienne et de parler directement aux représentants du peuple palestinien. Il y va de la survie du projet national palestinien ; c'est la clé de la stabilité du Proche-Orient. Il n'y a pas d'alternative. Voulons-nous pour les Palestiniens des cantons atomisés, peuplés de populations radicalisées ? Serait-ce un gage de sécurité pour Israël et pour la région ?

Pour que s'instaure une trêve, féconde cette fois-ci, il faut restaurer la crédibilité du processus politique, ouvrir enfin les points de passage, faire cesser l'enfermement des Gazaouis, et aussi des Cisjordaniens qui, pourtant, ne lancent pas de roquettes. Il faudra négocier avec les deux camps qui, tous les deux, comptent leurs extrémistes, racistes et violents ; il suffit d'écouter M. Lieberman, et quelques autres, qu'on reçoit si aimablement... Sachons négocier et parler avec tous, sans faire de choix entre les racistes selon leur religion et leur nationalité.


Publié le 15 janvier 2009