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Mission au Moyen-Orient - 4ème et 5ème déplacements. Communication

Le mercredi 13 mai 2009 la commission a entendu la communication de M. Jean François-Poncet et Mme Monique Cerisier-ben Guiga sur le quatrième déplacement (Iraq, Jordanie, Bahreïn et Koweït) du 28 mars au 6 avril 2009 et le cinquième déplacement (Kurdistan, Turquie) du 6 au 12 mai 2009, de la mission sur l'évaluation de la situation au Moyen-Orient.

M. Jean François-Poncet, rapporteur, a rappelé que sa collègue, Mme Monique Cerisier-ben Guiga et lui étaient allés à Bagdad, un mois auparavant, et qu'ils revenaient de l'Iraq du nord, ou « Kurdistan », et de Turquie. Sur le point de partir aux Etats-Unis, ils achèveraient leur mission sur un déplacement à Bruxelles en juin prochain.

M. Jean-François-Poncet, rapporteur, a ensuite indiqué que, selon lui, trois sujets dominaient la situation au Moyen-Orient : le conflit israélo-palestinien, le programme nucléaire militaire iranien et l'avenir de l'Iraq.

Jusqu'en 2007, l'avenir de ce pays restait obscur. Depuis, un renversement s'est produit dont on peut se demander s'il ne finira pas par transformer « l'erreur historique » des Etats-Unis d'envahir l'Iraq en succès. Trois questions se posent : la pacification est-elle réelle ? Survivra-t-elle au départ des forces américaines ? Comment le nouvel Iraq s'insérera-t-il dans son nouvel environnement régional et international ?

A la première question, que tout le monde se pose, de savoir si la sécurisation est un mythe ou une réalité, M. Jean-François-Poncet, rapporteur, a clairement apporté une réponse positive dans trois domaines : la sécurité, la démocratisation et la question nationale.

A l'appui de sa réponse, il a tout d'abord indiqué que l'amélioration était sensible sur le plan de la sécurité. Cette affirmation résulte des informations convergentes et croisées de l'ambassade de France à Bagdad, des personnalités iraquiennes, ainsi que du général américain Raymond T. Odierno. Quatorze provinces sur dix-huit sont sécurisées. Quatre ne le sont pas encore, mais sont en passe de le devenir, notamment celle de Mosoul et celle de Diyala à la frontière avec l'Iran. Alors qu'on comptait cent morts par mois en 2008, il n'y en a plus aujourd'hui que dix.

En second lieu, Al Qaïda semble avoir été défait. Certes, des cellules dormantes sont encore présentes ici ou là et conservent une capacité offensive. Mais, globalement, les interlocuteurs rencontrés considèrent qu'Al Qaïda a perdu la partie en Iraq. Quand on emprunte la route qui va de l'aéroport de Bagdad à l'hôtel Racheed, qui était terriblement dangereuse et que les forces américaines ont eu beaucoup de mal à sécuriser, on traverse une ville en état de siège, mais sans assiégeants. Toute la structure urbaine témoigne de ce combat : les murs, les ralentisseurs, les check points. Des membres du Groupement d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) assurent en permanence la sécurité de l'ambassade et l'ambassadeur ne peut se déplacer qu'en convoi. La mission a passé la nuit à Bagdad sous la surveillance permanente de ces mêmes membres du GIGN dont M. Jean François-Poncet, rapporteur, a souligné les très grandes qualités de courage, de courtoisie et de professionnalisme. Mais il a précisé que la mission n'avait jamais été menacée, qu'elle n'avait jamais entendu un coup de feu, ni une explosion.

Cette situation s'explique d'abord par les renforts (« surge »). Les forces américaines en Iraq sont passées de 110 000 à 150 000 personnes, ce qui leur a permis d'occuper le terrain et de ne pas laisser les rebelles reprendre possession des lieux après une intervention. Le second élément est le retournement, moyennant finance, des tribus sunnites en faveur des Etats-Unis : 90 000 combattants sunnites rémunérés trois cents dollars par jour ont ainsi été enrôlés dans les « conseils de réveil » ou « sahwa ». Pourquoi ces tribus sunnites se sont-elles retournées contre Al Qaïda ? Sans doute à cause des exactions et des attentats aveugles qui ont fini par devenir insupportables. Les conseils de réveil ont joué un grand rôle dans l'élimination d'Al Qaida et dans la pacification du territoire.

La stabilisation démocratique est une deuxième évolution positive. L'Iraq a connu cinq élections authentiques depuis 2005. Les élections législatives doivent se tenir en décembre prochain. Le régime est parlementaire, avec une assemblée unique. Cette assemblée est vivante. Elle est le théâtre des affrontements entre les uns et les autres, qui auparavant avaient lieu dans la rue. Cela résulte en particulier de la scission des mouvements représentant les Chiites entre le Conseil supérieur de l'Islam de el Hakim, le parti Da'wa, qui est celui du Premier ministre el Maliki, et, enfin, le mouvement sadriste, qui avait sa propre milice, bien connue sous le nom d'« armée du Mahdi ». Cette scission permet des combinaisons parlementaires entre les Chiites et les Sunnites qui ouvrent considérablement le jeu politique au-delà des divisions ethniques ou communautaires.

Enfin, il y a une stabilisation nationale. Une des grandes questions que l'on se posait était de savoir si le pays n'allait pas éclater en trois : un Kurdistan au nord, un Etat chiite au sud et un Etat sunnite au milieu. Il est possible, aujourd'hui, de répondre à cette question par la négative. Cela est dû à un homme, le Premier ministre Nouri el Maliki, que la mission n'a pu rencontrer à Bagdad car il était au sommet de Doha.

M. el Maliki s'est peu à peu imposé comme un homme d'Etat. Son intervention à deux reprises contre ses coreligionnaires chiites lui a conféré cette stature : une première fois à Bassora, dans le Sud, en réprimant une tentative séparatiste, et une deuxième fois dans une banlieue peuplée de Bagdad, Sadr city, en éliminant l'armée du Mahdi. Cette intervention d'un leader chiite contre d'autres Chiites lui a donné une sorte de consécration nationale, même si la stature qu'il a acquise, conjuguée à son goût du pouvoir, fait qu'il a beaucoup d'adversaires. Il a défendu les intérêts de l'Iraq et contribué à l'éveil d'une conscience nationale. En définitive, on peut dresser un bilan globalement positif de son action.

La question majeure est de savoir ce qui se passera après le départ des Américains. Les 150 000 hommes des forces américaines devraient se retirer complètement des villes d'ici à la fin du mois de juin 2009 et complètement du pays à la fin du mois de novembre 2011. Aucune base ne serait laissée en Iraq. L'ambassadeur de Grande-Bretagne, rencontré par la mission, a confirmé ce schéma mais n'a pas écarté l'hypothèse qu'il soit modifié à la demande du gouvernement iraquien, qui pourrait, le moment venu, demander aux forces américaines de rester plus longtemps.

Quelles sont les incertitudes ? Elles sont au nombre de quatre : politiques, sécuritaires, sur le problème kurde et sur les questions économiques et de développement.

La première d'entre elles est l'incertitude politique. Le Premier ministre Maliki s'est imposé. Mais ses succès comme son autoritarisme ont suscité de fortes oppositions. La mission a discerné un mouvement que l'on pourrait qualifier de « tout sauf Maliki ». En décembre 2009, il y aura des élections générales. M. Maliki devra trouver une majorité pour le soutenir, alors même qu'il risque d'avoir à affronter une convergence de ses ennemis : les Kurdes, les Sunnites, les autres factions chiites.

La deuxième incertitude concerne les forces armées et de sécurité : 600 000 hommes sont répartis entre l'armée, la police nationale et les polices locales. Ces forces, qui n'ont jamais opéré sans le secours des forces américaines, seront-elles capables de maintenir l'ordre après le départ de ceux qui les ont formées ? Selon le général Raymond T. Odierno, 75 % des forces irakiennes sont considérées comme sûres, 20 % comme incertaines et 5 % ne sont pas fiables. Par ailleurs, les conseils de réveil sunnites sont désormais rattachés au gouvernement à majorité chiite. Cette situation perdurera-t-elle ? Il serait catastrophique qu'il n'en soit pas ainsi. Certains attentats récents ont révélé des failles dangereuses.

Troisième incertitude : l'attitude des Kurdes. C'est sans doute le problème le plus sérieux. Les Kurdes sont concentrés dans le nord du pays, qui est une région montagneuse. Ils ont joué un rôle considérable dans l'implantation du régime. Massoud Barzani est un leader charismatique. Il est le président incontesté du Gouvernement régional kurde (GRC), tandis que M. Jalal Talabani, fondateur de l'Union patriotique du Kurdistan, est Président de la République d'Iraq. Le Kurdistan couvre actuellement trois régions et dispose d'importantes ressources pétrolières. Il s'est doté d'une armée depuis 1991, qui ne dispose pas d'armes lourdes, mais qui, avec ses 300 000 hommes (les Peshmergas) assure une sécurité remarquable dans la région ; plusieurs fois les Peshmergas ont été appelés à Bagdad pour assurer la sécurité du Parlement et des hommes politiques, en particulier du Président de la République, car ce sont des hommes sur lesquels on peut compter.

Les dirigeants kurdes s'opposent à une modification de la Constitution qui, en renforçant le centralisme du pouvoir, leur ôterait une partie de leur autonomie. Ils ont des revendications territoriales, en particulier sur Kirkouk, qui conduiraient, si elles étaient acceptées, à doubler la superficie actuelle du Kurdistan, actuellement de l'ordre de 40 000 km², soit autant que la Suisse. Kirkouk, notamment, constitue un abcès de fixation. Cette ville de 700 000 habitants est actuellement peuplée, à parts égales, de Kurdes, d'Arabes chiites implantés par Saddam Hussein dans le cadre d'une politique forcée et brutale d'arabisation, et de Turcomènes. Enfin, le Kurdistan dispose d'un aéroport international à Erbil.

Les revendications des Kurdes se heurtent à un refus de Bagdad et provoquent une grande nervosité chez les Turcs. Les représentants kurdes rencontrés par la mission disent avoir renoncé à l'indépendance, mais pas à Kirkouk. Ils s'opposent à Bagdad et au Premier ministre Maliki. Ils réclament l'application de l'article 140 de la Constitution qui prévoit la « normalisation », c'est-à-dire le retour des Kurdes à Kirkouk, le recensement et un référendum.

Ces affirmations ont conduit la mission à se rendre en Turquie pour sonder la position des autorités de ce pays sur ce sujet. Il faut savoir que les Turcs ont noué d'excellentes relations d'affaires avec les Kurdes, depuis que Massoud Barzani a renoncé à soutenir le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Vingt millions de Kurdes vivent en Turquie, six en Iraq, six en Syrie, douze en Iran. Sans aboutir nécessairement à une sécession, le problème kurde fait peser une menace sur l'avenir du pays.

Enfin, se pose le problème de la reconstruction, jusqu'alors éludé par la prévalence des préoccupations sécuritaires. Il faudra soixante milliards de dollars pour remettre en état les infrastructures. La production de pétrole, actuellement à peine supérieure à deux millions de barils par jour, pourrait passer à six millions si l'outil pétrolier est rénové, ce qui suppose également des investissements considérables de plusieurs dizaines de milliards de dollars. Or la loi sur le pétrole n'est pas toujours votée. Restent la modernisation et l'équipement de l'armée, dépourvue d'aviation et qui dispose de peu d'armes lourdes. La cession ou la récupération d'équipements que laisseraient les forces américaines sur place, à leur départ, ne répond pas au problème puisque ces matériels sont très usagés. Il existe donc un énorme marché potentiel d'équipements militaires.

Tout cela n'annule pas les aspects positifs, mais il est prématuré de dire que l'Iraq « s'en est sorti ».

En dernier lieu, M. Jean-François-Poncet, rapporteur, a abordé la question de l'avenir de l'Iraq dans son environnement régional et international.

A cet égard, il a indiqué que l'Iran était partout présent en Iraq. Les services secrets iraniens y ont des agents qui ont largement contribué à l'insécurité. Les dirigeants iraniens étaient hostiles à l'accord de désengagement (SOFA), signé en décembre 2008 par le gouvernement irakien et les Etats-Unis. L'Iran aurait souhaité que les Etats-Unis soient paralysés, qu'ils s'épuisent en Iraq et qu'ils ne puissent quitter le pays la tête haute.

Est-ce à dire que l'Iran va « tirer toutes les ficelles » ? Probablement pas. Les iraquiens ne le souhaitent pas, même si c'est un grand voisin avec lequel il faut compter. Néanmoins, l'influence de l'Iran en Iraq est très forte. Les deux pays sont liés par la religion chiite. Les lieux saints du Chiisme sont en Iraq : Nadjaf et Kerbala. Il est difficile de dire comment les choses évolueront.

La France a un rôle important à jouer en Iraq. La visite du Président de la République a été très appréciée en dépit de sa brièveté. La France a une bonne image, même si celle-ci a été troublée par le fait que les Français étaient opposés à l'intervention des Etats-Unis, qui a quand même permis d'éliminer Saddam Hussein, persécuteur de la majorité chiite. L'Iraq est un pays important qui a des ressources considérables.

M. Jean-François-Poncet, rapporteur, a souhaité rendre hommage à l'équipe de l'ambassade, fort motivée, avec un ambassadeur remarquable, qui vit depuis plusieurs années dans des conditions très précaires.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur, a rappelé l'historique de la création de l'Iraq au travers des découpages successifs résultant des traités de Sèvres, de San Remo puis de Lausanne. De ce fait, et en fonction des intérêts pétroliers des puissances coloniales de l'époque, l'Iraq est une entité géographique qui ne repose pas sur une réalité nationale. Elle a observé que le système politique n'est pas un régime parlementaire tel qu'on peut l'envisager normalement et que tous les postes, tous les ministères, sont distribués exclusivement sur des critères confessionnels. M. el Maliki, en agissant contre d'autres Chiites, a probablement pensé affaiblir des rivaux de sa confession, plutôt qu'il n'a été guidé par le sens de l'Etat. Les solidarités vont d'abord à la famille, au village à la tribu, à la région.

M. Didier Boulaud s'est interrogé sur l'importance des réserves pétrolières de l'Iraq.

M. Jean François-Poncet, rapporteur, lui a répondu que, moyennant une très importante modernisation, l'industrie pétrolière iraquienne, actuellement défaillante, serait tout à fait capable, à terme, de produire six millions de barils par jour, puisque, à titre de comparaison, sur des zones de production contiguës, la production saoudienne est de l'ordre de dix millions de barils par jour.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur, a précisé que le pétrole était aussi la malédiction de l'Iraq, puisque c'est à sa découverte dans les champs de Kirkouk que l'on devait la création même de l'Iraq et la non-création d'un Kurdistan, pourtant prévu par le traité de Sèvres.

M. Didier Boulaud s'est enquis des motivations de l'intervention américaine en Iraq, notamment pour savoir si le pétrole en était la raison.

M. Jean François-Poncet, rapporteur, a considéré que seuls les historiens pourraient trancher la question de savoir pourquoi les Etats-Unis ont décidé cette intervention, qui s'est soldée par la mort de 4 000 soldats américains et des dépenses de centaines de milliards de dollars, avec pour résultat une issue favorable sept ans plus tard. Il a déclaré ne pas croire personnellement que le pétrole en soit la cause principale. Selon lui, les Américains ont pensé qu'ils seraient accueillis en libérateurs et que l'Iraq serait, grâce à son pétrole, en mesure de payer les coûts de l'intervention. Ils se sont trompés sur ces deux points. Mais la faute majeure, que plus personne ne conteste, a été commise, après l'intervention, par l'administrateur Bremmer, qui, en licenciant les militaires iraquiens sans solde, a « nourri le marché de l'insurrection ». A cela s'est ajoutée la dissolution du parti Baas qui structurait l'administration et faisait fonctionner le pays. Il est très probable que, sans ces deux décisions malheureuses, l'histoire de l'intervention américaine en Iraq aurait été tout autre.

M. Daniel Reiner a interrogé les deux rapporteurs sur la perception sur place de l'élection du Président Obama et d'un éventuel changement de direction dans la politique suivie. Il les a également questionnés sur la présence de civils dans ce conflit.

M. Jean François-Poncet, rapporteur, a rappelé que le SOFA avait été signé par l'administration Bush et que Barack Obama n'avait pas changé de direction, les dispositions du SOFA correspondant, du reste, à son souhait de calendrier pour un retrait. Sur le second point, il a rappelé que des conseillers civils américains étaient très présents dans les ministères.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur, a précisé que les sociétés militaires privées, employant presque exclusivement des non-Américains, étaient omniprésentes dans le pays. Lorsqu'on arrivera au stade des crimes de guerre, il sera très difficile de déterminer les responsabilités respectives du commanditaire ou des sous-traitants.

Elle a également précisé, à propos du rôle de la Turquie dans la région, qu'il s'agissait du seul pays à pouvoir parler à tout le monde, au Hamas, comme à Israël, sans subir l'opprobre de ce dernier. La Turquie a une diplomatie stabilisatrice dans la région. Elle est en contact avec la Syrie et tente de la séparer de son alliance avec l'Iran.

A une question de M. Christian Cambon sur les relations de la Syrie avec l'Iraq, M. Jean François-Poncet, rapporteur, a indiqué que la Syrie ne s'était pas mêlée des affaires de l'Iraq, mais qu'en revanche les Jihadistes d'Al Qaïda s'étaient infiltrés par la Syrie, et qu'il n'avait pas le sentiment que ce pays ait tout fait pour les en empêcher. Il a souligné qu'aucun des pays limitrophes de l'Iraq n'avait intérêt à sa déstabilisation, ni la Syrie ni les autres.


Publié le 18 mai 2009