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Déjeuner au Sénat avec une délégation de journalistes palestiniens

Monique Cerisier ben Guiga, en qualité de Vice présidente du groupe de contact parlementaire France-Palestine, a organisé un déjeuner au Sénat avec une délégation de journalistes palestiniens invités en France par le ministère des Affaires étrangères

Sénat, 22 mai 2007 

Personnes présentes : 
M. Ashraf Al-Ajrami, journaliste ;
M. Bassem Abu Sumaya, journaliste ;
M. Fathi Sabbah, journaliste ;
Mme Pascale Abdallah, interprète ;
Mme Laurence Prudhomme-Zykov, direction de la communication, Ministère des Affaires étrangères ;
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, Sénatrice représentant les Français établis hors de France ;
Mme Maryse Bergé-Lavigne, Sénatrice de Haute-Garonne ;
Mme Alima Boumediene-Thiery, Sénatrice de Paris ;
M. Thierry Repentin, Sénateur de la Savoie ;
Mme Estelle Barry, commission des affaires étrangères du Sénat. 

Synthèse de la rencontre 

La rencontre entre les journalistes palestiniens et des Sénateurs a été l’occasion d’une discussion très ouverte. 

Du côté des journalistes, plusieurs thèmes sont revenus dans la conversation, en particulier la question des réfugiés palestiniens, du niveau de vie de la population, de l’initiative de paix arabe et du rôle de la communauté internationale dans le règlement du conflit.

Des divergences ont pu apparaître entre les journalistes dans la manière dont ces questions sont appréhendées, ce qui a rendu leurs propos d’autant plus vivants et intéressants.

Il est à noter, malgré tout, que les débats se sont focalisés sur les questions politiques, et qu’il n’a jamais été question de la pratique du métier de journaliste, du rôle et de la place des médias palestiniens, … 

Du côté parlementaire, des points de vue différents se sont également manifestés quant à ce conflit, à la manière dont il évolue sur le terrain et dont il est perçu dans l’opinion publique française, ce qui a constitué le thème principal des interventions.

Des positions différentes sont apparues concernant le rôle des lobbies et de l’information, mais également sur la façon dont il faut traiter ce conflit. Trois directions ont été envisagées, la première considérant que les Palestiniens doivent faire un lobbying plus important auprès de la communauté internationale pour faire connaître la réalité de leur situation, la seconde considérant que seules des sanctions efficaces contre Israël en cas de non-respect du droit international peuvent être dissuasives, et la troisième soulignant qu’il fallait prendre garde à ne pas trop attendre d’Ehud Olmert car celui-ci pourrait être évincé s’il est considéré par ses compatriotes comme concédant trop, et ce au profit d’un successeur beaucoup moins modéré. 

Au final, ce déjeuner a permis à chacun de faire part de ses interrogations et de ses inquiétudes quant à ce conflit. 

Dans un premier temps, les journalistes palestiniens indiquent être très heureux d’être ainsi accueillis au Sénat et d’avoir un échange avec les Sénateurs présents. 

Mme Cerisier – ben Guiga excuse les Sénateurs du groupe UMP, qui auraient voulu se joindre au déjeuner, mais qui étaient invités ce même jour à Matignon pour déjeuner en compagnie du Premier Ministre. Elle précise que la question palestinienne est un thème qui dépasse les clivages politiques gauche/droite en France, puisque qu’on trouve des deux côtés des sympathisants de la cause palestinienne. 

Dans un premier temps, les journalistes souhaitent en savoir plus sur le rôle du Sénat. Les Sénateurs ont donc indiqué en réponse que le Sénat était une des chambres composant le Parlement français, et dont les membres étaient élus au suffrage universel indirect. Son rôle est un rôle législatif au même titre que celui de l’Assemblée nationale, puisque les deux assemblées étudient les mêmes textes. Il leur est ensuite expliqué le processus d’adoption des textes législatifs en France. 

Ensuite il est proposé que chaque journaliste se présente brièvement puis expose les questions qu’il souhaite poser à l’ensemble des Sénateurs. 

M. Ashraf Al-Ajrami se présente comme étant à la fois journaliste et écrivain, directeur des affaires israéliennes au Ministère de l’information palestinien.
Il indique s’interroger sur plusieurs sujets, en particulier :

  • la question du soutien français aux Palestiniens face au blocage économique et politique, car ce blocage est selon lui la raison principale de l’accroissement de l’extrémisme ;

  • la pression sur Israël afin que soient entamées des négociations politiques avec les représentants palestiniens ;

  • le soutien à l’initiative arabe de paix, qui a obtenu un large consensus. La majorité des Palestiniens sont favorables à une solution politique, et certains israéliens rencontrés à propos de cet accord (certains membres du parti travailliste, du Meretz, des représentants d’ONG mais également des personnalités de la société civile) ont favorablement accueilli cette initiative et ont accepté de rédiger un communiqué commun ainsi que de la promouvoir au sein de l’opinion publique.

La question des 6 millions réfugiés Palestiniens doit également être abordée, via notamment l’application de la résolution 149. 

M. Bassem Abu Sumaya est le Président de la chaîne Palestinian Broadcasting Corporation (PBC).

Il indique qu’il est nécessaire d’avoir un plus grand effort de la communauté internationale afin d’obtenir une solution pour la question de ces deux États. Les pressions sont nécessaires sur l’État d’Israël pour qu’il y ait des avancées, mais des efforts sont également à faire pour que les opinions publiques des deux pays acceptent les initiatives de paix.

En Palestine, la France est vue comme un pays ami. Le changement politique intervenu lors de la dernière élection présidentielle a créé une incertitude sur les futurs choix de la France dans la région. La question de la sécurité d’Israël n’est pas indépendante de l’avenir de la Palestine. Il y a un fort besoin de réalisme pour pouvoir faire face à la situation.

Quant à savoir qui attise le conflit, il est répondu : la Syrie et l’Iran du côté palestinien, les Etats-Unis du côté israélien.  

M. Fathi Sabbah est journaliste, correspondant de la chaîne libanaise de télévision LBC ainsi que du journal Al Hayat.

Il revient sur la question des réfugiés palestiniens. Il estime que les termes de la résolution 149 sont clairs et précis sur le droit au retour des réfugiés déplacés. Ce droit ne peut pas être nié. Or, cette question est une des origines du conflit.

L’initiative de paix, telle qu’elle a été proposée du côté arabe, vise à une normalisation de la situation pour la reconnaissance d’Israël par tous les pays arabes contre la libération des territoires occupés depuis 1967.

Si Israël nie les droits des Palestiniens, alors le conflit risque de perdurer.

La situation en Palestine est catastrophique : blocus, pauvreté … les 2/3 des fonctionnaires n’ont pas été payés depuis plusieurs mois. Les aides alimentaires sont données pour moins de personnes qu’il n’y en a effectivement, tout ceci nourrit le conflit. Si les Palestiniens ne retrouvent pas l’espoir, l’extrémisme va encore s’accroître.

Le Sénat est bien informé des conditions de vie des Palestiniens, donc peut aider à trouver une solution. Une des solutions peut être d’encourager le Hamas à plus de médiation envers Israël. 

Ensuite, les Sénateurs présents lors du déjeuner ont à leur tour fait part des questions qui les intéressaient particulièrement. 

Mme Maryse Bergé-Lavigneremarque que le contexte actuel n’est pas favorable au monde arabe. Depuis plusieurs années, il existe un fort lobbying israélien sur les sociétés occidentales, mais rien de similaire n’est présent du côté palestinien, ce qui est dommage. Les sénateurs qui sont allés en Palestine ont pu remarquer la régression du pays, sa pauvreté. La société est de plus en plus asphyxiée alors que pourtant il s’agit d’une société très politique, cultivée, laïque. Les dernières élections ont été un modèle de démocratie, mais les Français ne le savent pas, ils nourrissent au contraire des préjugés sur le monde arabe qu’ils pensent obscur, violent et religieux. Pour que l’opinion publique change, il faut que toute initiative palestinienne s’accompagne d’un important travail de lobbying, notamment par le biais d’images, d’explications, … La diaspora palestinienne doit elle aussi agir pour aider à changer les mentalités. 

Mme Monique Cerisier-ben Guiga souligne qu’on assiste depuis plusieurs années à une évolution des mentalités en faveur de la cause palestinienne. Israël est de plus en plus perçu comme un pays qui en occupe un autre, autant chez les Parlementaires que dans une partie de l’opinion publique. Pourtant, ceci ne se transforme pas en mouvements dynamiques et cohérents des soutiens au peuple palestinien que ce soit dans les milieux politiques ou dans la société civile. Quant au changement politique craint par les Palestiniens, comme l’a souligné M. Bassem Abu Sumaya, elle rappelle que 90% des Français établis en Israël ont voté pour le nouveau Président Nicolas Sarkozy, perçu par eux comme un ami sûr d’Israël. 

Mme Alima Boumediene-Thiery trouve que la politique n’a pas changé en France depuis des années, avec un soutien d’Israël qui s’explique notamment par un fort sentiment de culpabilité. Il peut être déploré que les Parlementaires, de gauche comme de droite, n’aient pas exprimé beaucoup de compassion sur cette question. Elle précise qu’une tentative de faire passer au Parlement européen une résolution pour sanctionner Israël en cas de non-respect du droit international n’avait recueilli de soutien ni du PPE, ni du PSE, qui sont les deux grands partis européens.

Concernant les lacunes, Mme Boumediene-Thiery indique partager le constat de Mme Bergé-Lavigne, toutefois elle considère que les Palestiniens ont bien les images qui leur permettrait de faire du lobbying, mais pas assez de poids pour les faire diffuser ailleurs.

Concernant la solidarité, elle propose le gel des subventions pour Israël en cas de non-respect du droit international. Ceci avait déjà été fait avec succès en Afrique du Sud lors de la période de l’apartheid, il serait donc intéressant d’interpeller la délégation pour l’Union européenne du Sénat quant à cette question.

Concernant l’initiative de paix, Mme Boumediene-Thiery se demande si elle est réellement sérieuse, et dans quelle mesure il pourrait être possible de passer par d’autres moyens de pression, comme l’OPEP.

Enfin, pour illustrer la question du lobbying, l’exemple de Bethléem est cité. Cette ville est aujourd’hui totalement encerclée, or cette question n’est nullement abordée dans la presse arabe, ce qui est d’autant plus dommage que ceci pourrait trouver un écho en occident dans la mesure où cette ville touche la sensibilité chrétienne. 

Face à ces interrogations, les réponses faites par les journalistes sont qu’il s’agit majoritairement d’un manque d’intérêt porté au monde palestinien par les gouvernements arabes. Certaines relations avec des pays européens sont plus fortes qu’avec certains pays arabes. 

M. Thierry Repentin commence son propos en soulignant qu’il est certes militant de la cause palestinienne, mais pas supporter inconditionnel pour autant. Il indique être revenu perplexe de Palestine. L’opinion publique française ne soutient pas vraiment la cause palestinienne, mais ce qu’elle voit à la télé ne l’y incite guère : elle voit des gens d’un même peuple se combattre, et ne comprend plus les raisons de tout ceci.

Concernant les efforts que pourrait faire Israël, la limite est que Ehud Olmert est déjà considéré comme modéré vis-à-vis de la question palestinienne. N’est-il pas risqué de contribuer à fragiliser Ehud Olmert alors que s’il était victime d’une crise politique, ce sont des personnalités beaucoup moins modérées sur la relation israélo-palestinienne qui reviendraient au pouvoir. 

Au terme de ce tour de table, plusieurs questions sont abordées. 

Concernant les armes qui circulent, certaines sont fabriquées sur place, d’autres importées. Toutefois, le fait qu’il y ait des armes des deux côtés ne doit pas faire oublier que les armes palestiniennes ne sont en général pas des armes de précision, tandis que celles détenues par Israël sont au contraire des armes très précises.

Concernant les enjeux extérieurs, à savoir quels pays pourraient avoir un intérêt à une guerre civile, les journalistes ont cité les mêmes pays que précédemment, à savoir la Syrie, l’Iran mais également les Etats-Unis. Ils ont souligné que les Etats-Unis souhaitaient aider le Président Abbas mais uniquement dans le but de combattre le Hamas. A cette fin, une aide de plusieurs millions de dollars a été votée par le Congrès. 

En conclusion, Mme Monique Cerisier-ben Guiga remercie les journalistes pour toutes les informations données, et rappelle que tous ici sont conscients des grandes difficultés rencontrées par le peuple palestinien.

Elle souhaite également la libération prochaine du journaliste britannique Alan Johnston, actuellement retenu en otage dans la bande de Gaza, et pour qui les journalistes palestiniens se sont mobilisés.  

Mme Maryse Bergé-Lavigne ajoute qu’a été fondée à Malte l’Assemblée des Parlements de la Méditerranée, qui comprend donc également la Palestine. Elle indique qu’il est prévu de créer une chaîne de télévision au sein de laquelle interviendraient tous ces pays, et espère que la Palestine sera présente.


Publié le 29 mai 2007