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Interventions budgétaires - Aide publique au développement

Qui aide le plus l’Afrique : la France ou les migrants ?

En 2007, notre aide publique au développement atteint à peine la somme de l’aide que les immigrés Africains installés en France envoient à leurs familles, soit près de 8 milliard d’euros, une goutte d’eau.

Alors que se tiendra cette semaine le sommet de l’Union Européenne-Afrique à Lisbonne, la position qu’adoptera la France est loin d’être claire. La question de l’aide publique au développement qui, malgré les discours, ne cesse de se réduire comme peau de chagrin, est plus que jamais d’actualité.

Le constat est simple : l’aide publique réelle de la France ne représente qu’un tiers de ce que nous notifions au Comité pour l’Aide au Développement de l’OCDE. Les chiffres sont largement manipulés. Que l’on se serve de l’annulation de la dette pour masquer la baisse de notre aide, ou que l’on gonfle carrément les montants, cette utilisation des chiffres est inacceptable. On fait passer la Loi de Finances initiale de 2007 à 9 milliards d’euros quand seulement 7,84 milliards ont été réalisés, on prétend que les dépenses pour les étudiants s’élèvent à 900 millions d’euros quand le nombre de visas d’études accordés aux Africains et aux Maghrébins diminue fortement, ou bien on affiche un doublement de l’accueil des réfugiés en 5 ans alors que la police des frontières refoule les potentiels demandeurs d’asile dès leur descente d’avion.

Nous continuons donc à recevoir de l’Afrique beaucoup plus que ce que nous lui donnons, non seulement car nous lui donnons peu et que les organisations de solidarité internationales restent invraisemblablement pauvres ; mais aussi parce que, directement ou indirectement, nous lui prenons beaucoup. Le dernier rapport de la CNUCED fait état de chiffres saisissants : 13 milliards de dollars en moyenne par an ont été transférés illégalement de l’Afrique vers l’Europe sur la période de 1991 à 2004. 400 milliards ont été volés  aux peuples africains en trente ans ! En soutenant des régimes corrompus, la France a largement participé à ce phénomène. Nos Gouvernements ont aidés des dirigeants africains à maintenir leurs régimes dictatoriaux pour la simple raison qu’ils faisaient partie du petit monde de la francophonie. La France leur a ainsi accordé des aides budgétaires, d’obscurs accords de défense, ou l’appui de nos forces armés comme au Tchad il y a moins d’un an. L’ex Président du Libéria, Charles Taylor, aurait ainsi détourné 3 milliards de dollars, le Président  Gabonais Omar Bongo, 4 milliards, et on a pu retrouver la trace de 472 millions appartenant au Président du Congo, Sassou Nguesso, aux Bermudes, selon les chiffres du Comité Catholique contre la faim. Tout cela sans compter les innombrables pots de vins, estimés par la Banque Mondiale à 40% du montant de l’aide publique internationale, que les multinationales versent à ces dirigeants peu scrupuleux pour gagner des marchés. Ce phénomène, de même que le rapatriement des capitaux que les entrepreneurs veulent mettre à l’abri plutôt que de les investir dans le développement de l’Afrique, s’accentue avec l’arrivée des entreprises et de l’Etat Chinois en Afrique.

Au concours de la générosité, qui gagne ? Notre grand pays généreux ou les migrants méprisés, sous-payés et contrôlés au faciès ?

Monique Cerisier ben-Guiga
Sénatrice des Français établis hors de France

 

Intervention en séance le 29 novembre 2007

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - En dépit de mon goût pour les oxymores, je ne commencerai pas mon discours par une « pause dynamique » ! (Sourires) Une pause dynamique n'entraverait pas la marche de la France vers l'objectif de 0,7 %, fixé de longue date, mais elle retarderait certainement ma péroraison, ce que les règles du débat ne m'autorisent pas.

J'en viens donc aux questions désagréables.

L'aide publique française au développement est, à 75 %, orientée depuis les indépendances vers l'Afrique francophone et méditerranéenne. Mais toutes les études et les enquêtes judiciaires conduisent au même constat : nous continuons à recevoir de l'Afrique beaucoup plus que nous ne lui donnons. D'après le dernier rapport de la Cnuced, sur la période 1991-2004, 13 milliards de dollars en moyenne ont été transférés illégalement chaque année de l'Afrique vers l'Europe. En trente ans ce sont 400 milliards de dollars qui ont été subtilisés aux peuples africains, et transférés dans les pays riches, dont le nôtre. Ce montant doit être comparé aux 215 milliards de dollars de la dette de l'Afrique. Qui doit combien à qui ? A qui la faute ? A l'instabilité politique et économique de certains pays qui incite les entrepreneurs à mettre leurs capitaux à l'abri. Mais ces détournements de fonds sont surtout le fait de régimes corrompus. Nous maintenons au pouvoir des gouvernements grâce à des accords de défense obscurs et à l'appui de nos forces armées comme cela a été le cas au Tchad il y a moins d'un an. Nous sommes piégés par des décennies de politique complaisante et complice avec ces chefs d'État qui font plus ou moins rempart à des anarchies encore plus prédatrices et sanglantes que leurs régimes. Ces détournements de fonds sont aussi le fait des entreprises internationales qui emportent les marchés grâce aux pots de vin versés aux responsables politiques et administratifs. La Banque Mondiale estime leur montant à 40 % de l'aide publique internationale. Et la situation s'aggrave avec l'arrivée des entreprises et de l'État chinois en Afrique. « Qui osera rendre un jour au Nigeria, au Cameroun, au Congo, au Congo-Brazzaville ce que la France leur doit ? » s'interroge Eva Joly à l'issue de son instruction de l'affaire Elf et sur la base des enquêtes qu'elle mène actuellement.

M. Michel Charasse, rapporteur spécial. - On se demande à quel titre !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - Le Comité catholique contre la faim, dans son rapport Biens mal acquis, évalue à 3 milliards de dollars les fonds versés au Libéria et détournés par l'ancien Président Charles Taylor, à 4 milliards de dollars la fortune amassée par le Président Bongo. Pour Sassou N'guesso, dont la fortune est immense, on a retrouvé trace de 472 millions aux Bermudes : c'est la partie visible de l'iceberg.

Que représente notre aide au développement par rapport à cette corruption qui profite aux pays riches, dont nous-mêmes ? Bien peu de choses. C'est avec gravité que je vous demande, monsieur le ministre, si dans un tel contexte, il est convenable, honorable de se servir de montants présumés d'annulation de dettes pour masquer la baisse réelle de notre aide au développement ? Ce procédé a permis d'inscrire 9 milliards dans la loi de finances pour 2007 alors que seuls 7,84 milliards ont été versés. En 2007, notre véritable aide publique au développement a donc atteint le montant des sommes que les migrants maghrébins et africains établis en France envoient dans leur pays d'origine, d'après les chiffres du ministère de l'immigration. Au concours de la générosité, qui gagne ? Notre grand pays généreux ou les migrants méprisés, sous-payés et contrôlés au faciès ?

Je ne reviendrai que brièvement sur les manipulations comptables, pas toujours conformes aux prescriptions du Comité pour l'aide au développement de l'OCDE et dont le montant atteint 1,68 milliard dans ce budget, soit près de 20 % de l'aide publique au développement annoncée : dépenses pour les étudiants gonflées à près de 900 millions, alors que les visas d'études pour les Africains et les Maghrébins diminuent, accueil des réfugiés estimé à 439 millions, alors que la police des frontières refoule les demandeurs potentiels dès la descente des avions. Vous devez voir cela comme moi quand vous allez, à Roissy de bon matin...

Comme notre rapporteur, j'estime que les statistiques établies selon les critères du Comité pour l'aide au développement de l'OCDE sont utiles pour les comparaisons internationales, mais elles ne permettent pas de juger de la réalité de notre contribution. Notre aide publique au développement réel ne représente qu'environ un tiers de celle que nous notifions à ce comité.

J'en viens au programme 209 dont les crédits diminuent de 13,6 millions : les crédits de coopération multilatérale ne peuvent augmenter que si les crédits de coopération bilatérale baissent. Seul 1 milliard est donc mobilisable sur le terrain par nos postes et par l'Agence française de développement pour l'aide publique bilatérale au développement. Il est regrettable que, de ce fait, la France n'apparaisse plus aux yeux des populations comme un partenaire actif pour la scolarisation, pour la santé et dans la lutte contre la pauvreté. Au Sénégal, l'Agence française de développement dispose de seulement 20 millions alors que les organismes multilatéraux en ont 100, dont une part vient d'ailleurs de la France. Mais qui le sait, au Sénégal, et qui contrôle l'usage des fonds à Paris ?

Quant aux organisations de solidarité internationale, elles restent le parent pauvre. Les promesses de 2007 concernant le doublement des crédits mis à leur disposition n'ont pas été tenues. Comment le seraient-elles, cette année, quand le projet de loi de finances n'indique que 35,5 millions de crédits ? Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous donner des précisions ?

Malheureusement, notre engagement pour le développement baissera encore plus dans les prochaines années, puisque les autorisations d'engagement pour 2008 ne permettent pas d'anticiper une forte croissance des crédits de paiement. Au moment où les parlementaires ACP et Union Européenne, réunis à Kigali, appellent l'Europe à s'engager pour l'accès aux soins de santé, au moment où les pays ACP s'inquiètent des accords de partenariat régionaux que l'Union veut leur imposer et qui ruineront leurs agricultures non subventionnées et leurs industries et artisanats non concurrentiels, quelle sera la position de la France au sommet de l'Union européenne-Afrique qui se tiendra à Lisbonne les 8 et 9 décembre ? Dans le cadre de la revue générale des politiques publiques, il faudra veiller à ce que les moyens que la France affecte au développement ne soient pas réduits, en hommes, en structures et en financement.

Tous les efforts seront vains, cependant, si la lutte contre la corruption n'est pas menée efficacement : le Gouvernement compte-t-il renforcer les moyens contre ce fléau ?

 


Publié le 04 décembre 2007