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Le Moyen Orient à l'Heure du nucléaire

Note de synthèse du Rapport d’information

de M. Jean François-Poncet et Mme Monique Cerisier-ben Guiga

 sur l’évaluation de la situation au Moyen-Orient

  Le Moyen-Orient est à un moment décisif de son histoire. En Israël, au Liban, en Iran, des élections ont eu lieu et ont changé la donne. En Irak, les troupes américaines ont entamé leur retrait et des élections législatives auront lieu à la fin de l’année. Surtout, les Etats-Unis ont un nouveau Président dont l’extraordinaire popularité lui donne une marge de manœuvre sans précédent. Il a tendu la main à ceux capables de « desserrer leurs poings ». Mais il n’arrivera pas à résoudre l’ensemble des problèmes tout seul. L’Europe doit l’aider.

D’autant que le blocus de Gaza est une braise toujours allumée et sa levée un impératif humanitaire. Les négociations pour un Etat palestinien sont au point mort. L’Iran continue son programme nucléaire et si ce programme va à son terme l’horloge du Moyen-Orient battra à l’heure nucléaire.

Que va-t-il se passer ? Personne n’est en mesure de le dire. Une chose est sûre : nous sommes arrivés à ce que les Grecs anciens appelaient le kairos : le moment de vérité.

Le fond du décor

 Le premier facteur commun aux pays de la région est la transition démographique. Partout commencée, elle n’est nulle part achevée et provoque des turbulences d’autant plus fortes que les traditions familiales protectrices sont bousculées. Le statut des femmes, entre ascension et archaïsme, témoigne du désarroi de sociétés en pleine mutation.

 Le second est l’abondance des ressour-ces énergétiques. Les cinq pays du Golfe persique membres de l’OPEP détiennent les deux tiers des réserves mondiales de pétrole. Aucune grande puissance ne peut se désintéresser de la région. Par ailleurs, la pénurie d’eau est générale et conduit ces pays à recourir à l’énergie nucléaire civile pour désaler l’eau de mer.

La région n’est pas épargnée par la crise économique, mais son impact est très différencié. Trois pays souffriront plus que les autres : l’Iran, l’Egypte et le Yémen.

Le retour du religieux est un fait. Il ne date pas d’hier, mais de la défaite du nationalisme arabe après la guerre de 1967. Il prend la forme d’un rigorisme symbolisé par le port du voile et l’application de la loi islamique. Mais ne soyons pas dupes : le phénomène religieux exprime une quête identitaire. Derrière le voile, la quête de soi. Derrière la barbe, la politique. L’Islam s’est imposé parce qu’il est devenu le territoire de la dignité des populations arabes, l’ultime sanctuaire de leur propre estime.

Le cinquième élément est le fossé entre les peuples et les gouvernants. La statue de Saddam Hussein a été abattue, mais la démocratie est souvent réduite aux apparences. Les Etats de la région ont importé les modes opératoires des démocraties, mais rechignent à mettre en œuvre les valeurs qui les sous-tendent et les droits qui en découlent.

Enfin, tous les pays du Moyen-Orient entretiennent une relation tourmentée avec l’Occident. Leur ressentiment à notre égard plonge ses racines dans la période coloniale, mais c’est avec la création d’Israël qu’il a trouvé sa pleine expression. Les musulmans sont convaincus que nous ne les respectons pas car nous avons une « politique injuste » faisant deux poids et deux mesures entre Israël et le peuple palestinien. C’est le « double standard » partout abhorré et dénoncé : pourquoi autoriser Israël à se doter de l’arme nucléaire et pas l’Iran ? Pourquoi condamner les tirs de roquette du Hamas et pas le blocus de Gaza qui en est la cause ?

Ces éléments étant rappelés, développons les termes de l’équation du Moyen-Orient. Cette équation comporte deux défis, une inquiétude et un espoir.

Assurer un avenir au peuple palestinien, tout en confortant l’existence d’Israël

 La résolution du conflit israélo-palestinien est d’une importance capitale pour les pays de la région : pour la Syrie, dont le Golan est toujours occupé, pour le Liban, qui compte sur son sol plus de 400.000 réfugiés palestiniens et pour l’Egypte, dont la diplomatie déploie des efforts tenaces afin d’aider à un règlement pacifique. Pourtant le processus de paix patine depuis près de vingt ans. Il faut arrêter le « processus » et faire la paix, ce qui suppose des partenaires et qu’ils soient désireux de la faire.

I. La difficile réconciliation des factions palestiniennes

 L’OLP, depuis sa création en 1964 et sous la férule de Yasser Arafat avait su préserver un semblant d’unité permettant de mener des négociations. La scission du mouvement palestinien est née de la transformation des Frères Musulmans palestiniens en mouvement politique – le Hamas – en 1987, puis de la victoire de celui-ci aux élections législatives de 2006, en Cisjordanie et à Gaza.

L’opposition entre le Hamas et le Fatah, d’abord politique, est devenue militaire et le sang n’a cessé depuis 2006 de couler entre les deux mouvements. Le Hamas trouve sa légitimité dans le suffrage universel, la résistance face à Israël et le contrôle de la bande de Gaza. Le Fatah a la main mise sur la Cisjordanie et sur l’OLP – dont le Hamas ne fait pas partie - qui est la seule organisation reconnue par Israël et la communauté internationale pour mener des négociations. Aucun ne peut abandonner ses positions sans se renier.

En outre, les deux mouvements ne sont pas d’accord sur la stratégie à tenir. Le Fatah, respectant les conditions du Quartette exige du Hamas la reconnaissance préalable d’Israël. Khaled Mechaal, le leader du Hamas, que vos rapporteurs ont rencontré à Damas, n’exclut pas la reconnaissance d’Israël, mais à l’issue des négociations.

Dans ces conditions la réconciliation entre les deux mouvements est difficile et il n’y a pas de partenaire palestinien avec qui négocier.

II. L’acceptation sans contrainte par Israël de la solution des deux Etats

Israël est confronté, depuis toujours, à un dilemme : choisir entre un Etat binational dans les frontières de 1967, au risque de dissoudre son identité juive, ou bien accepter l’Etat palestinien, au risque de sa sécurité et au prix d’une partie de ses colonies. Entre les deux propositions les dirigeants d’Israël n’ont jamais choisi et ses gouvernements procrastinent d’une négociation à l’autre.

Pourtant la solution des deux Etats est la seule qui offre au peuple israélien une promesse de vivre en sécurité dans les frontières internationalement reconnues. L’intérêt à long terme des Israéliens n’est pas d’être entouré de peuples hostiles, de tourner le dos à la région où ils ont choisi de s’établir, enfermés entre des murs qu’ils ont eux-mêmes construits. Et ce n’est pas non plus l’intérêt des Etats-Unis, ni de l’Europe d’être taxés d’injustice par trois cent millions d’Arabes et un milliard de Musulmans, à cause du soutien qu’ils apportent à Israël. D’autant que de nombreux sondages indiquent que les citoyens Israéliens sont prêts à accepter la solution des deux Etats.

Or, les gouvernements israéliens se saisissent de tous les prétextes pour gagner du temps et reporter l’heure des décisions. Le paradoxe est qu’Israël est politiquement trop faible pour faire la paix et militairement trop fort pour en avoir besoin. En outre, son armée et son gouvernement sûrs, jusqu’à présent, du soutien inconditionnel des Etats-Unis, n’étaient pas incités à faire des concessions.

III. La possibilité d’une paix

Seuls les Etats-Unis peuvent convaincre Israël d’accepter la création d’un Etat palestinien viable. La détermination du Président américain sera d’autant plus forte qu’il trouvera l’Europe à ses côtés.

Par ailleurs, les leaders palestiniens sont trop divisés pour parvenir à un gouvernement d’union nationale. Les nouvelles élections présidentielles et législatives prévues en janvier 2010 devraient contribuer à départager les deux mouvements.

Dans ce contexte, Américains et Européens devraient ensemble considérer de :

1. parler à toutes les parties, y compris le Hamas et réexaminer les conditions posées par le Quartette ;

2. obtenir du Hamas qu’il renonce à la lutte armée pour une trêve de longue durée et d’Israël qu’il lève le blocus de Gaza ;

3. favoriser un échange entre Marwan Barghouti et Gilad Shalit et les autres prisonniers ;

4. obtenir de Mahmoud Abbas la réforme du Fatah et de l’OLP ;

5. obtenir d’Israël un gel total des colonies et la levée des barrages en Cisjordanie ;

On ne fait pas la paix avec ses amis. C’est à la condition qu’ils se parlent qu’Israéliens et Palestiniens pourront entamer une ultime négociation permettant la création d’un Etat palestinien et un accord de paix global entre Israël, la Syrie et le Liban.

Ni bombe, ni bombardement : ignorer l’Iran pour le conduire à évoluer

L’Iran effraie. Au lendemain d’élections dont l’irrégularité est très probable, le régime évolue vers une dictature pure et simple. Est-ce une surprise ? Pas vraiment. Mais le régime iranien vient de montrer son visage le plus détestable : celui d’un régime instable, va-t-en guerre et paranoïaque. Si de surcroît il se dotait de l’arme nucléaire, l’Iran deviendrait un cauchemar pour tous ses voisins. Mais au fond, que veut l’Iran ? Exporter sa révolution ou préserver sa souveraineté ?

La politique étrangère de l’Iran n’est plus, depuis la fin de la guerre avec l’Irak, celle d’une Révolution islamiste prête à gommer sa spécificité chiite pour prendre la tête du monde musulman et des « déshérités ». Cette politique a échoué car l’Iran a fait prévaloir ses intérêts nationaux et n’a pas convaincu les gouvernements sunnites de la pureté révolutionnaire de ses intentions. Ahmadinejad ne fait que poursuivre l’orientation ultranationaliste de ses prédécesseurs. Ses déclarations outrancières et populistes sont d’abord destinées à son propre électorat. L’Iran a besoin de grossir la menace extérieure afin d’échapper à ses difficultés intérieures.

S’agissant du programme nucléaire, si aucune preuve formelle n’existe à ce jour permettant d’affirmer que c’est un programme à vocation militaire, de nombreux indices font planer le doute : le fait qu’à l’origine, il ait été tenu secret et que l’Iran se refuse à répondre aux questions de l’AIEA ; son absence de rationalité économique et technique s’il est civil et enfin, la convergence avec un programme balistique sophistiqué. C’est en définitive un programme d’apparence civil avec vraisemblablement une option militaire. Il semblerait que cette option n’ait pas encore été levée. Si elle l’était, l’Iran pourrait disposer d’un premier « engin » nucléaire à la fin de l’année 2010. Mais ce serait un engin unique, non validé expérimentalement et ne pouvant être emporté par un missile. L’acquisition d’un ensemble militaire dissuasif n’aura pas lieu avant 2015.

Avec ce programme délibérément ambigu et ambivalent l’Iran est en position de force. Si les négociations aboutissent, ses dirigeants auront fait l’affaire du siècle en vendant à l’Occident un programme militaire balbutiant. Si les négociations échouent, et que les sites nucléaires sont attaqués, il pourra endosser la posture de la victime qu’il affectionne tant pour accroître sa popularité et son influence dans le monde musulman.

L’Occident n’arrêtera pas le programme nucléaire iranien par la force, ni par la négociation. Il nous faut soutenir le Président des Etats-Unis dans sa politique de la main tendue, qui n’est autre du reste que la position européenne initiale. Mais il est malheureusement peu probable que le gouvernement iranien saisisse cette occasion, tant il a besoin d’ennemis pour exister. Le régime iranien survivrait-il à une détente ?

Nous ne devons pas avoir peur d’un Iran nucléaire. Il n’y a pas de raison de penser que la dissuasion ne fonctionne pas à son égard comme elle a toujours fonctionné. Les dirigeants iraniens détestent l’Occident et Israël, mais ils tiennent à leur pouvoir et sont des gens rationnels. En revanche, la nucléarisation de l’Iran entraînerait celle de l’entière région et cela serait une menace pour la paix dans le monde.

C’est pourquoi, il faut s’apprêter à renforcer les sanctions, en étroite coopération avec la Chine et la Russie.  

Accompagner l’Irak sur la voie de la reconstruction de son Etat

L’amélioration de la sécurité en Irak est la meilleure nouvelle de la région. 14 provinces sur 18 sont stabilisées. Les réseaux d’Al Qaïda sont en partie démantelés.

Il est difficile de dire si cette amélioration perdurera après le départ des Etats-Unis, mais selon les américains, il y a de bonnes raisons de penser que tel sera le cas. L’armée serait loyale à 75 % au gouvernement ainsi que la police nationale, ce qui ne vaut pas pour les polices locales.

Il y a également de bonnes raisons de penser que l’Etat préservera son unité. Certes les Kurdes n’ont pas renoncé à Kirkouk, qui est pour eux une sorte de Jérusalem. Mais ils n’ont pas l’intention de faire sécession ne serait-ce qu’en raison des réactions qu’une telle décision susciterait en Turquie. Et puis le pays aspire à la paix, après une guerre plus longue que la seconde guerre mondiale.

En revanche, le rétablissement d’une vie économique prendra du temps. Les infrastructures sont à construire. L’Irak peut les financer si la corruption ne capte pas la manne pétrolière. En outre, il faut que les Iraquiens se mettent d’accord sur la répartition des recettes pétrolières et sur un cadre juridique suffisamment attractif pour les sociétés étrangères.

Pour que l’Irak renaisse, les élections libres ne suffissent pas. Il lui faut également un Etat impartial : des fonctionnaires, des juges, des administrateurs, des enseignants, des militaires, des policiers. La France peut l’y aider.  

Sauver le Yémen afin qu’il ne devienne pas la prochaine base d’Al-Qaida

 Le Yémen est un Etat dont on parle peu en Occident. Son importance stratégique est pourtant cruciale à la charnière de l’Afrique et du Moyen-Orient.

Les Etats arabes de la péninsule, après y avoir beaucoup investi donnent le sentiment d’avoir abandonné la partie. Un mur électronique pour surveiller la frontière avec l’Arabie saoudite est en construction.

Aujourd’hui, le Yémen n’est pas encore un Etat failli, mais il est en passe de le devenir. L’effondrement de son économie, la particularité de sa géographie avec ses hautes vallées aux contreforts inexpugnables, la faiblesse de son gouvernement qui n’a vraiment d’autorité que sur la ville de Saana. Tout cela peut en faire une nouvelle base pour les disciples de Ben Laden. Des groupes liés à Al Qaïda y sont actifs et certaines madrasas, dans le nord du pays, accueillent de nombreux jeunes européens.

Il faut sauver le Yémen d’urgence dans sont intérêt, comme dans le nôtre.


Publié le 15 juillet 2009
Mis à jour le 15 juillet 2009