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interview sur le site du Sénat

Propos recueillis le 2 avril 2008

Vous rentrez d'Italie. Quelle raison vous y a conduite ?

Je voulais voir comment le consulat de Milan avait absorbé le surcroît de travail dû à la transformation du consulat de Turin en consulat à gestion simplifiée. De fait, 10.000 Français de plus dépendent désormais du consulat de Milan, qui s'ajoutent aux 20.000 que ce poste avait à gérer, soit une augmentation de 50%. Le transfert s'est très bien déroulé grâce à notre excellent consul qui a fait tous les travaux nécessaires d'adaptation des locaux et qui dispose d'une très bonne équipe, mais cela fonctionne à flux tendu.

En revanche, à Naples où le consul doit à la fois gérer un consulat à gestion simplifiée - avec toutes les tâches afférentes d'une antenne de chancellerie diplomatique - et diriger l'Institut culturel, les choses sont plus compliquées. Il me semble que la diversité des fonctions à remplir avec l'aide d'une équipe très restreinte et un budget de fonctionnement dérisoire est excessive. Quelles que soient les qualités éminentes de ce diplomate, comment faire à la fois rayonner la culture française, établir les indispensables contacts avec les autorités politiques et rédiger des notes sur la situation locale qui est dense et complexe ?

Dans la situation actuelle de réduction des moyens, tout repose sur la qualification et l'engagement des agents. A Milan, comme à Naples, la qualité humaine et professionnelle de tous permet de faire face mais c'est de la diplomatie et de l'action culturelle qui demandent des talents de funambule.

L'avenir du ministère des Affaires étrangères me préoccupe beaucoup car la préparation du livre blanc est court-circuitée par la Révision générale des politiques publiques (RGPP). L'objectif est de réduire les moyens du ministère pour en rendre le fonctionnement encore moins onéreux en supprimant 450 à 500 agents d'ici 2011 - alors qu'il en a déjà perdu 1 000 au cours des dernières années - plutôt que de déployer une vraie stratégie de reconfiguration du réseau.

A force de différer les choix, on laisse les services consulaires et diplomatiques s'évider, jusqu'au jour où faute de moyens humains et financiers, ils ne rendront plus les services qu'on attend d'eux. Comme le chien qu'on laisse crever de faim, jusqu'à ce que, devenu mauvais gardien, on le pique. Cette situation m'inquiète. Il serait plus rationnel de dire : nous ne voulons plus avoir les moyens d'un réseau mondial - actuellement le 2ème du monde - et de réduire le réseau en conséquence. A l'heure actuelle, les arbitrages ne sont pas rendus.

Que préconisez-vous ?

Il ne faut pas maintenir de postes sans moyens. La France commet une erreur fondamentale en diminuant ses capacités d'action extérieure - que cette action soit diplomatique, culturelle ou consulaire - en pleine mondialisation. En 1965, alors que le PNB de la France correspondait au tiers du PNB actuel, nous arrivions à dégager des moyens pour déployer 30 000 coopérants en Afrique et avoir des centres culturels et des Alliances françaises réellement soutenus partout. Je ne dis pas qu'il n'y avait pas de gâchis. Mais cela correspondait à un choix politique d'influence.

La réduction des crédits, et les économies qu'on peut en attendre, dans un ministère qui représente 0,7% du budget de l'Etat, y compris l'aide publique au développement, c'est l'épaisseur du trait.

Par ailleurs, on veut vider la direction générale de la coopération et du développement (DGCID) de sa substance pour confier l'action culturelle de la France dans le monde à des opérateurs extérieurs. Je suis d'accord avec le principe de confier l'action culturelle à des agences à condition qu'elles soient gérées, comme l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), de façon dynamique, et que le Ministère des Affaires Etrangères soit en mesure de participer au pilotage. Mais dans le domaine culturel, faute de personnel qualifié en nombre suffisant, le MAE n'a pas les moyens de contrôler.

Qu'est-ce que qui vous fait craindre que les opérateurs dans le domaine culturel ne soient pas aussi efficaces que l'AEFE dans le domaine éducatif ?

C'est une question de moyens humains. Le Ministère des Affaires Etrangères manque d'agents suffisamment qualifiés pour piloter et évaluer l'action de Culture France et d'Edufrance, qui sont dotées par ailleurs d'équipes de qualité.

Dans un secteur aussi qualitatif que la diplomatie culturelle, la grande difficulté est de trouver des personnes dont les qualifications et le tempérament sont en adéquation avec les tâches qu'on leur assigne. L'AEFE est excellemment gérée par une diplomate, agrégée d'espagnol et passionnée d'éducation et par une directrice adjointe issue du secteur de la recherche. Quels que soient les talents d'Olivier Poivre d'Arvor, il est plus animateur que gestionnaire. Il faudrait lui adjoindre un gestionnaire.

Pour résumer : oui à la délégation de missions à des agences mais à condition qu'une vraie collaboration s'établisse avec le ministère des affaires étrangères et notamment avec les directions géographiques d'une part, et que la DGCID puisse recruter dans le corps des diplomates ou contractuellement des personnes formées au pilotage stratégique et à l'évaluation d'autre part.

Et dans le domaine de la coopération ?

L'aide publique au développement va être entièrement confiée à l'Agence Française de Développement (AFD). L'AFD est sans doute une structure puissante capable de dégager des bénéfices, mais sa culture est bancaire et assez technocratique avec des procédures qui ralentissent l'exécution des projets. Par ailleurs, elle sait décaisser 10 millions d'euros pour de gros projets, mais ne sait pas gérer de petits projets qui, dans les pays en développement, sont les seuls de nature à changer la vie des gens. Certains secteurs comme l'éducation ou la santé ont besoin d'être gérés selon des critères plus qualitatifs que quantitatifs, ce qui n'est pas encore dans la culture de l'AFD. Elle doit apprendre à faire dans le petit.

Enfin, l'AFD a recruté les meilleurs agents au sein du secrétariat d'Etat à la coopération, de sorte qu'il n'y a plus au sein du ministère, ni à la DGCID, de personnes qualifiées pour la piloter. L'AFD se pilote et s'évalue toute seule.

Est-ce qu'un changement de statut de l'AFD permettrait de remédier à ce type de problèmes ?

Il faudrait distinguer les activités bancaires proprement dites de ce qui relève de l'agence de développement. Parfois, il y a conflit entre les deux. Par exemple, l'AFD ne peut pas financer le secteur cotonnier au Mali ou au Burkina Faso tout en étant parallèlement le conseiller des agriculteurs. Car les intérêts du secteur de la commercialisation ne concordent pas nécessairement avec ceux du secteur de la production.

Que manifeste cette tendance à l'externalisation ?

L'externalisation est désormais le maître mot du gouvernement dans le domaine culturel extérieur et maintenant dans le consulaire. Je viens d'apprendre que le traitement des dossiers de demande de visas auprès du consulat de Tunis sera désormais confié à une société prestataire. Or je ne connais pas de société en Tunisie qui ne soit pas contrôlée d'une façon ou d'une autre par le ministère de l'intérieur tunisien. De même, c'est sans doute très efficace de transmettre les dossiers de demande de visa par Internet mais il faut savoir qu'il n'y a aucune confidentialité de ce média, étroitement contrôlé par l'Etat.

Même chose en Russie ou de surcroît, en externalisant, on peut se demander si on ne transfère les problèmes de corruption du consulat vers la société prestataire. Enfin, le service consulaire est conduit à délivrer des visas sans pouvoir contrôler réellement les originaux des documents puisqu'il ne reçoit que des copies par Internet.

L'externalisation manifeste la volonté de soulager le ministère des affaires étrangères de toutes les tâches d'exécution pour ne lui laisser que la tête. Or l'intelligence est aussi dans les mains. Celui qui n'agit pas a généralement des difficultés à concevoir. Je crains que le ministère perde ses capacités d'analyse, de pilotage et d'évaluation parce qu'il aura perdu sa capacité d'agir.

Vous êtes opposée à la gratuité de l'enseignement scolaire à l'étranger. Pourquoi ?

Attention, ce n'est pas de la gratuité dont il s'agit mais d'une mesure de prise en charge des frais de scolarité instituée par décision présidentielle, sans aucune étude d'impact. Tous ceux qui connaissent le sujet, les parents d'élèves, les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères, les agents de l'Agence pour l'Enseignement français à l'étranger, les syndicats d'enseignants, savent que cette manière d'introduire la « gratuité » est dangereuse car elle a trois effets induits.

D'abord, c'est une mesure injuste : bien que le Président de la République ait récemment annoncé qu'elle serait progressivement étendue aux petites classes, elle ne bénéficie pour l'instant qu'aux enfants scolarisés en terminale et en première. Parallèlement, l'Etat peine à trouver les crédits pour financer les bourses sur critères sociaux qui permettent aux familles à revenus modestes d'être exonérés de tout ou partie des frais de scolarité. Comment expliquer à ces familles que l'Etat parvient à dégager 20 millions d'euros par an pour payer la gratuité à des familles qui n'ont rien demandé et dont le train de vie luxueux est manifeste ?

En deuxième lieu, dans les villes à fortes communautés françaises, l'afflux des petits Français qui ne pouvaient jusqu'à présent pas s'inscrire au lycée français faute de moyens, va engendrer un effet d'éviction au détriment des élèves des autres nationalités et donc, au détriment du rôle de diplomatie d'influence de la France. Le bon équilibre entre élèves français et étrangers qui est de 60%-40% ou de 50%-50% sera rompu si des programmes d'agrandissement des écoles et de construction d'établissements ne sont pas prévus.

Le seul moyen de lutter contre l'effet d'éviction serait en effet d'augmenter les capacités d'accueil des établissements. Où trouver l'argent alors que l'Etat n'a déjà pas les moyens de financer les 240 millions d'euros nécessaires sur 5 ans, selon la mission d'audit, pour remettre à niveau les 64 établissements en gestion directe ?

D'autre part, il faudra plus d'enseignants pour suivre l'augmentation du nombre d'élèves, ce qui engendrera mécaniquement une augmentation de la masse salariale, qui n'est évidemment pas prévue par le budget de l'Etat. Investissements supplémentaires, augmentation de la masse salariale sans financement public se traduiront par une hausse des frais de scolarité qui est actuellement estimé à 10% par an sur les cinq prochaines années.

Enfin, il y a aura certainement du contentieux lorsque le mécontentement des parents d'élèves étrangers, exclus de la mesure, se fera jour. Ce mécontentement sera croissant au fur et à mesure de la diffusion de la mesure dans les petites classes.

Vous avez pourtant longtemps milité pour la gratuité de l'enseignement à l'étranger ?

Oui, la gauche avait ce que je crois maintenant être une illusion, en 1981, il y a 27 ans ! Je l'ai perdue, pour ma part, après quelques années de mandat lorsque j'ai mieux connu la complexité du réseau et de ses fonctions. Nos candidats aux deux dernières élections présidentielles ont souhaité rendre les établissements financièrement accessibles mais n'ont jamais promis la gratuité.

Quid de la réforme de l'audiovisuel extérieur ? Les actionnaires de TV5 Monde n'acceptent apparemment pas l'inclusion de TV5 dans la holding en tant que filiale de France-Monde...

Sur ce point, un consensus devrait pouvoir être trouvé autour de la nomination à la direction exécutive de TV5 Monde d'un francophone.

Au-delà de la grogne justifiée des partenaires francophones de TV5 Monde, la réforme proposée par le rapport Benamou-Levitte pose de multiples problèmes.

A l'heure actuelle, TV5 Monde est considérée dans le monde entier comme une chaîne généraliste, populaire, et dont les sept canaux sont adaptés à des publics différents. Si, demain, France Télévisions et Arte quittent le conseil d'administration, TV5 Monde sera privée de la fourniture gratuite de ses émissions-phares et ne pourra plus accéder à la banque d'images de l'Union européenne de Radiodiffusion (UER), indispensables pour assurer ses journaux d'information. Par ailleurs, comment TV5 Monde pourra-t-elle maintenir la crédibilité internationale de ses journaux si elle est privée de sa liberté et de ses capacités éditoriales ?

Enfin, la réforme fait peser une menace sur la reconduction des contrats passés par TV5 Monde avec les diffuseurs dans le monde entier. Un diffuseur qui a concédé un canal de distribution pour une chaîne généraliste acceptera-t-il de le reconduire pour une chaîne d'information internationale dont le taux de notoriété est peut-être élevé mais dont le taux d'audience n'est même pas quantifiable ?

http://www.expatries.senat.fr/interviews/questions_cerisier_ben_guiga2.html


Publié le 09 avril 2008