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Engagement de la France en Afghanistan

Monique Cerisier ben Guiga est intervenue dans le débat sur l’engagement de la France en Afghanistan qui a eu lieu au Sénat le lundi 16 novembre 2009. Voici l’essentiel de son intervention.

« En 2009, il y a au moins cinq arcs de crise entre Méditerranée et Himalaya, au centre desquels se place la guerre d'Afghanistan -le conflit palestino-israélien qui déstabilise le Levant, le conflit irakien, la crise entre l'Iran, l'Occident et les pays de la péninsule arabe, le conflit indo-pakistanais- et auxquels nous devons ajouter Al-Qaïda qui a trouvé en zone pachtoune afghane et pakistanaise son ancrage territorial. Tous ces points de tension et ces guerres ouvertes, interconnectés, font de cet ensemble géopolitique, pont entre l'Europe et l'Asie, le lieu de tous les dangers.

Pensez-vous, monsieur le ministre, que depuis 2001, nous, Français, ayons réellement pesé dans les aspects militaires et civils de l'intervention ? Sur le plan militaire, les Américains mènent leur propre guerre Enduring Freedom et continuent à nous imposer leurs options au sein de l'Otan. Rien n'a changé depuis que nous en avons réintégré le commandement unifié : par exemple, le général McChrystal a été nommé à la tête de l'Otan sans concertation avec quiconque. Pendant sept ans, la stratégie américaine a privilégié d'une part la mise à l'abri des troupes dans leurs cantonnements et d'autre part les bombardements dont les victimes civiles sont évaluées à 100 000. Nous devons peser fortement sur le commandement américain pour que ces tactiques militaires changent. Mais huit ans de perdus dans une mauvaise stratégie font que les Américains et nous avec eux sommes perçus par les Afghans et les peuples de toute la région comme une armée d'occupation, armée chrétienne, de surcroît, en pays musulman.

La reconstruction civile n'a représenté que 8 % des sommes dépensées, l'essentiel est allé à l'effort de guerre. La France va-t-elle décider, en ce qui la concerne, de rééquilibrer cette proportion ? Comment les paysans afghans, qui représentent 80 % de la population, qui n'ont été aidés à reconstruire ni leurs routes ni leurs systèmes d'irrigation et pour lesquels l'électricité reste une chimère, pourraient-ils croire que les Occidentaux sont venus dans leur intérêt leur rétablir des conditions de vie décentes ? Le pouvoir central est déliquescent et, pour rendre la justice dans leurs villages, les Afghans en sont réduits à faire appel aux talibans. Hors des villes, les filles afghanes restent bannies de l'école et les femmes soumises à un statut dégradant.

Notre présence demeure nécessaire en Afghanistan, mais rester avec des chances de succès suppose que la France, dirigée par le Président Sarkozy, cesse d'être à la remorque des Américains Êtes-vous prêt à reconquérir l'autonomie nécessaire ? Nous devons exiger de participer à la redéfinition des objectifs de l'ensemble des armées engagées. Il faut impérativement que l'action de la coalition soit recentrée et coordonnée. Nous devons intégrer l'idée qu'une guerre asymétrique ne peut être gagnée face à un adversaire dont le réservoir de guérilleros aguerris est inépuisable. Il n'y aura pas de victoire militaire.

Pour négocier, il nous faudra reconquérir une position de force et le soutien d'au moins une partie de la population. Cela ne sera possible que si nous nous engageons vigoureusement dans un appui à la reconstruction rurale qui permettrait de réduire la culture du pavot et le commerce de l'opium, qui financent autant le clan Karzaï que les seigneurs de la guerre.

Ne soyons pas amnésiques. Nous sommes tombés dans le même piège que les Soviétiques et nous imaginons en sortir par le même moyen : l'afghanisation. Elle a duré trois ans après les Soviétiques, elle ne durerait pas trois mois avec Hamid Karzaï.

Enfin, sachant que tous les pays de la région sont concernés et menacés par le conflit afghan, il faut traiter le problème en associant toutes les parties sans jeter d'exclusives : les composantes de la société afghane, l'Iran, le Pakistan, l'Inde, la Russie, la Chine, toutes les parties prenantes. Une conférence internationale sous l'égide de l'ONU s'impose. Elle doit être préparée par des négociations diplomatiques discrètes et patientes.

La reconstruction de l'Afghanistan passe par la réorientation de l'aide au développement vers les petits projets pris en main par les paysans eux-mêmes. C'est seulement ainsi que les milliards d'euros déversés sur le pays cesseront de déséquilibrer la société et de faire sombrer la vie politique et l'administration dans une corruption généralisée. La guerre en Afghanistan avait pour but premier d'empêcher Al-Qaïda et ses alliés d'y retrouver une base protégée et non pas d'instaurer un État démocratique dans un pays qui n'a jamais été une Nation ni un État.

Nous avons des devoirs envers les Afghans : ne partons pas en les laissant entre les griffes de mafias. Nous devons les accompagner dans la mise en place d'institutions adaptées à leur société et qui garantissent un minimum d'État de droit. Il en va de la sécurité de tout le Moyen-Orient, du Pakistan, de l'Inde et donc de la paix mondiale. »


Publié le 17 novembre 2009