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RGPP: quelle modernisation pour la politique extérieure de la France?

L’entreprise de « modernisation des politiques publiques » dont les mesures ont été exposées le 4 avril dernier par le président de la République comporte aussi un volet sur l’action extérieure de la France. Un rapport intérimaire en a présenté les principales orientations. Il part d’un constat : dans un monde où la concurrence s’accroît et où les risques s’internationalisent, notre politique extérieure, c'est-à-dire la promotion et la défense des intérêts et des valeurs de la France et de ses citoyens à l’étranger, doit être profondément revue pour être rendue plus lisible. Diplomatie, activités consulaires, culture et enseignement français, économie et aide au développement : les cinq missions de la politique extérieure devront donc subir des changements.

Le rapport en indique les principaux axes : une présence française universelle mais modulée selon la nature de nos intérêts, avec notamment le renforcement de l’échelon régional et la transformation d’une trentaine d’ambassades en « postes de présence diplomatique » allégés. Il s’agit ensuite de revoir la gestion de notre appareil d’action extérieur avec concentration et mutualisation des moyens. La modernisation de l’action consulaire s’inscrit dans la même logique avec un recalibrage en fonction de nos besoins, la délégation de certaines tâches à des opérateurs privés et la création d’une « préfecture des Français de l’étranger » à Nantes. Enfin, le rapport propose de revoir l’organisation de la diplomatie d’influence, c'est-à-dire ce qui concerne la culture et l’enseignement dans un même souci de concentration et de visibilité.

Ce texte n’est qu’un rapport d’étape qu’il ne faut certainement pas rejeter en bloc puisqu’il est nécessaire d’adapter notre système d’action à un monde qui change et à de nouvelles contraintes mais depuis trop d’années « changer » signifie « réduire » et non renouveler. Il faudra donc que nous, l’opposition, sachions faire le tri entre les évolutions qui s’imposent réellement et celles qui ne sont que la résultante de choix idéologiques et de contraintes financières plus ou moins justifiées.

Je m’interroge néanmoins sur un certain nombre de points fondamentaux. Ce qui m’étonne en premier lieu n’est pas tant ce que le document dit mais plutôt ce qu’il ne dit pas. En effet, il ne mentionne même pas son objectif final : les suppressions de poste qui, avec le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux d’ici 2011, devraient pourtant concerner 450 à 550 postes -après le millier de suppressions dans les années passées. On aura beau invoquer la mutualisation, la concentration et l’efficacité comme des formules magiques, je doute fort qu’elles suffisent à compenser la diminution des personnels. Sans compter que ceux qui resteront en poste sur le terrain auront davantage encore de travail et devront multiplier leurs tâches, ce qui ne sert pas forcément l’efficacité. Il existe donc une contradiction totale entre les prétentions universelles de la France et la réduction des moyens et des effectifs d’un ministère des affaires étrangère dont le budget, rappelons-le, ne pèse que 0,7% dans le budget de l’Etat…
D’autre part, je suis surprise par le « non-choix » de ce rapport, par la contradiction profonde et dangereuse entre le désir de concentrer les moyens d’une part et celui de conserver une présence universelle d’autre part : la RGPP ne choisit pas . On prétend à la fois maintenir toutes les implantations géographiques du réseau, améliorer leurs capacités d’action tout en continuant à diminuer les moyens qui leur sont alloués (mais sans le dire). Pour faire face aux bouleversements, faute de choix entre le développement et le repli, que propose-t-on ? De débarrasser l’administration des tâches de gestion (du personnel, des institutions, des ressources financières) pour lui permettre de se consacrer à des tâches « d’analyse » (évidemment « transversales ») des enjeux de « pilotage (« stratégique » bien sûr) des opérateurs et de « coordination » (de l’action internationale de tous les autres ministères, si on comprend bien) à Paris et sur le terrain.

Ceci évoque pour moi les modèles de voiture où la grosse carrosserie cache un moteur de trois chevaux. Ce que les conducteurs appellent « un veau » : ça n’avance pas, ça n’a pas de reprise et le moteur souffre dans les côtes…

On annonce donc la transformation d’une trentaine d’ambassades en « postes de présence diplomatique », c’est-à-dire qu’on étend aux ambassades le modèle des « Consulats à gestion simplifiée ». Cette expérience a-t-elle été évaluée avant d’être largement mise en œuvre ? Pas à ma connaissance. C’est pourtant un préalable indispensable. Ce que nous en voyons sur le terrain laisse dubitatif : la charge est très lourde pour les chefs de poste, s’ils veulent remplir toutes les missions qui leur sont confiées, surtout lorsque ces missions sont doubles (consulaire et économique, consulaire et culturelle). Il y aurait beaucoup de leçons à tirer des expériences passées et en cours. La réduction des moyens du réseau n’est envisagée et annoncée que pour les très grandes ambassades (ex Washington, Berlin) par la formule énigmatique « lissage des formats d’exception ».

Au total, je crains que les agents du MAE, à tous les niveaux hiérarchiques, n’aient beaucoup de soucis à se faire. Il leur est demandé, à tous, de devenir sur le terrain, des hommes-orchestres, et, à Paris, de purs esprits. Pour ma part, je pense au contraire qu’il est temps de choisir entre la réponse réelle aux défis d’une action internationale sur une planète mondialisée et le repli, faute d’hommes et de moyens financiers sur une politique étrangère modeste.
La conséquence principale de cette absence de choix est donc de déléguer l’action de l’Etat à des opérateurs et de ne laisser à l’administration que des activités purement intellectuelles. Or, rien n’est dit de ces opérateurs sauf dans le secteur culturel. Dans le réseau consulaire, nous voyons déjà la délégation s’opérer pour la réception des demandes de visas, à des sociétés privées et on peut imaginer que la grande usine d’état-civil de Nantes en projet pourrait être, elle aussi, déléguée.
La délégation à des opérateurs sous tutelle publique s’est avérée efficace dans le cas de l’AEFE. Mais dans le cas de l’AFD, le contrôle (impulsion et évaluation) échappe à peu près totalement au ministère des Affaires étrangères et, localement, aux ambassadeurs. J’avoue avoir un peu de mal à imaginer la structure de « l’opérateur chargé de la mobilité internationale » qui regrouperait en fait Edufrance et FCI (France Coopération internationale). Mais pour ma part, si les agences sont bien conçues, avec un champ d’action cohérent et mènent des actions qui correspondent aux orientations qui leur sont fixées, si l’Etat passe avec elles des contrats d’objectifs et de moyens pluriannuels, que l’évaluation de leur action inclue les dimensions qualitatives, j’estime que c’est un bon instrument de service public.

En revanche la délégation à des opérateurs privés de tâches administratives qui appartiennent, en France, au cœur de la responsabilité de l’Etat me paraît à la fois nuisible à l’intérêt du service, à l’intérêt de l’usager et à celui du contribuable.

Pour ma part, j’ai toujours pensé que l’action et la réflexion se nourrissent mutuellement. Ce n’est pas du tout dans ce sens que la RGPP oriente le MAE. Disons le tout net : un ministère a l’influence de sa puissance : on peut toujours parler « d’interministérialisation » et de « vocation du ministère des Affaires étrangères et européennes à assurer la synthèse et la cohérence de la politique extérieure de la France », quand on pèse 0,7% du budget de l’Etat, on est écrasé par les gros ministères (des Finances, de l’intérieur, de l’Education) qui ont chacun leur politique internationale et on ne coordonne pas grand-chose parce qu’on n’est pas informé de ce qui se passe.

De même, un pays a l’influence de sa puissance. La France prétend à la présence universelle en diminuant ses moyens au moment où ses partenaires et concurrents (européens par exemple) les augmentent sans pour autant prétendre à l’universalité. Encore un accès d’arrogance française qui nous vaut tant de sarcasmes dans le monde.

Je veux donc exprimer de grandes réserves concernant les orientations présentées dans ce rapport. Des réserves quant à l’avenir des agents du Ministère des Affaires Etrangères, de la communauté française de l’étranger, de l’efficacité de notre politique extérieure et finalement, des réserves sur la défense des intérêts et des valeurs de la France et de ses citoyens dans un monde qui se transforme. Je souhaite vivement que les conclusions du Livre blanc sachent être plus réalistes.

Monique Cerisier ben-Guiga

Pour accéder eu rapport complet du conseil de modernisation des politiques publiques du 4 avril 2008:

http://medias.lemonde.fr/mmpub/edt/doc/20080404/1030909_dossier_cmpp_4_avril_2008_definitif.pdf



Publié le 14 avril 2008