LISTE DES ARTICLES

Audition à la commission des finances: systèmes d'information du ministère des Affaires étrangères

COMMISSION DES FINANCES - Mardi 5 février 2008

Cour des comptes - Systèmes d'information du ministère des affaires étrangères -

La commission a procédé à une audition de MM. Alain Pichon, président de la 4e chambre de la Cour des comptes, Jean-Loup Kuhn-Delforge, secrétaire général adjoint du ministère des affaires étrangères, Nicolas Warnery, directeur des systèmes d'information du ministère des affaires étrangères, Francis Etienne, directeur de l'immigration du ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement, ancien directeur des systèmes d'information du ministère des affaires étrangères, et Alain Catta, directeur des Français à l'étranger et des étrangers en France du ministère des affaires étrangères, sur le suivi d'un référé de la Cour des comptes relatif aux systèmes d'information du ministère des affaires étrangères.

M. Jean Arthuis, président, a rappelé qu'il avait rendu public, en 2004, au nom de la commission, un rapport sur la question des systèmes d'information. Il y invitait l'Etat à investir « plus et mieux » dans son informatique et notait la faiblesse de l'investissement informatique de certains ministères (1,2 % de ses crédits dans le cas du Quai d'Orsay), tout en relevant, dans une logique de comptabilité analytique, la connaissance limitée qu'avaient les administrations des coûts réels de leurs systèmes d'information. Le référé semblait indiquer que le ministère adoptait encore « une approche restrictive des potentialités de l'outil informatique » et n'investissait pas suffisamment dans ce domaine. En matière d'équipement, le référé précisait que « le ministère a choisi de fixer à trois ans la durée de l'amortissement des matériels informatiques, mais il n'a pas atteint cet objectif, puisqu'en réalité le rythme de renouvellement actuel est quadriennal ».

Dans le même temps, il a relevé le paradoxe d'une sous-consommation en exécution des crédits informatiques par le ministère. Il a souhaité que la commission dispose, chiffres à l'appui, et le cas échéant au moyen de comparaisons internationales, de précisions sur le sujet crucial du volume de l'investissement informatique. Il s'est interrogé sur le niveau de retour sur investissement, remarquant que les termes du référé, selon lesquels la « dynamique de changement est insuffisante » au ministère, semblaient induire l'idée d'une efficience encore trop limitée de la politique informatique du Quai d'Orsay.

Il s'est ensuite interrogé sur la cohérence dans la gestion interministérielle des crédits informatiques, l'efficacité de l'informatisation des administrations étant souvent mise à mal par un éclatement dans le pilotage et la gestion des projets. Aucun ministère n'est propriétaire de ses crédits, et l'intérêt général doit guider l'action de l'ensemble des gestionnaires publics : il faut donc connaître les raisons pour lesquelles le ministère préférait conserver une gestion autonome de ses crédits informatiques relatifs aux visas, plutôt que de laisser piloter, par le nouveau ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement, l'ensemble des systèmes d'information consacrés aux ressortissants étrangers. Il a souligné que ce ministère de l'immigration s'était vu transférer les crédits informatiques des autres ministères - intérieur pour les cartes de séjour, et justice, pour les naturalisations - sauf ceux du Quai d'Orsay.

Enfin, il a souhaité obtenir des précisions sur les termes du référé selon lesquels « les manquements aux règles fixées par le code des marchés publics sont trop souvent notoires au ministère des affaires étrangères », notant qu'il y avait là un sujet de préoccupation pour la commission.

M. Alain Pichon, président de la 4e chambre de la Cour des comptes, a observé que le contrôle de la Cour des comptes reposait sur des faits établis au cours de l'année 2005, et que les choses avaient pu évoluer depuis, la Cour n'ayant pas, depuis la transmission du référé, procédé à des investigations supplémentaires. La 4e chambre a réalisé des travaux de même nature en ce qui concerne le ministère de l'intérieur et le ministère de la justice, à l'occasion desquels certaines défaillances avaient pu être constatées.

S'agissant du ministère des affaires étrangères, le référé reproche un défaut de vision globale et une absence de connaissance des besoins des utilisateurs, notant par ailleurs que le Quai d'Orsay a renoncé à un schéma directeur pour opter en faveur d'une trajectoire d'évolution du système d'information triennale sans aucune présentation de la stratégie du ministère en matière de systèmes d'information et de communication à moyen terme.

Il a souligné la lenteur et le manque de convivialité de la messagerie électronique. Avec l'aide d'un service spécialisé du secrétariat général de la défense nationale (SGDN), la Cour des comptes a cherché à mesurer la fiabilité des systèmes d'information et observé que les risques liés au risque d'inondation des équipements informatiques du Quai d'Orsay seraient résolus par le déménagement des services concernés dans les nouveaux locaux de la rue de la Convention, et que la sensibilisation des agents aux questions de sécurité s'était améliorée.

S'agissant des moyens, il a considéré que l'effort financier réalisé par le ministère restait encore limité par rapport à celui consenti dans d'autres pays étrangers, évoquant par ailleurs la question du recours croissant aux agents contractuels. Enfin, il a noté avoir relevé, au cours du contrôle, certains cas de mise en concurrence insuffisante dans la passation des marchés publics et de laxisme comptable.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge, secrétaire général adjoint du ministère des affaires étrangères, a jugé la critique de la Cour des comptes quant à une « absence de stratégie » sévère, et même « injuste ». Il a ainsi cité la mise en oeuvre des recommandations de l'audit réalisé par l'inspection générale des affaires étrangères, appuyée par la société Cap Gemini, qui avait débouché sur un schéma directeur, puis sur un plan d'action. Il a également souligné l'introduction d'une nouvelle organisation, avec la création d'une direction des systèmes d'information, dont 70 % de l'activité étaient externalisés à des prestataires privés.

Il a jugé que le Quai d'Orsay avait enregistré des progrès importants, citant la diminution des coûts de maintenance et la reconnaissance par la communauté informatique de sa filière du logiciel libre.

En ce qui concerne la critique de la Cour des comptes, quant à une « médiocre attention » réservée aux utilisateurs, cette observation lui paraissait désormais relever du passé, avec la création de la nouvelle direction des systèmes d'information orientée vers les directions et les « responsables de programmes LOLF » du ministère qui, désormais, définissaient eux-mêmes leurs besoins informatiques. Il a précisé que des enquêtes de satisfaction des agents étaient menées chaque trimestre depuis août 2006, 5.000 utilisateurs étant à chaque fois tirés au sort pour se prononcer sur la qualité des services rendus. Il a souligné que l'indice de satisfaction moyen approchait sept sur dix. S'agissant des insuffisances relevées au sujet de l'application informatique développée pour la comptabilité des postes à l'étranger (COREGE), il a reconnu des difficultés de départ, prises en compte par un dispositif spécial « SOS Compta » afin d'aider les utilisateurs à passer le cap des premiers temps d'utilisation. Il a fait valoir que les qualités de COREGE lui avaient valu d'être retenue comme « tête de pont » à l'étranger de la future application informatique comptable Chorus.

S'agissant de la sécurité, M. Jean-Loup Kuhn-Delforge a observé qu'il s'agissait d'un sujet essentiel qui mobilisait tous les efforts de son ministère. De manière générale, le Quai d'Orsay travaille en liaison étroite avec le SGDN qui se livre régulièrement à des tests sur la fiabilité de ses systèmes informatiques. Ainsi l'architecture de la future application « Schuman » de télégrammes diplomatiques présente des avancées majeures du point de vue de la sécurité.

S'agissant des moyens, il a reconnu être dans une situation inconfortable, s'agissant du recours à des agents contractuels : le marché est très concurrentiel, et son ministère ne peut proposer que des rémunérations inférieures à celles du marché. S'agissant des autorisations d'engagement, elles sont passées de 37 millions d'euros en 2005 à 137 millions d'euros en 2007. Les crédits de paiement avaient également progressé, passant de 37 millions d'euros en 2005 à 59 millions d'euros en 2007. La loi de finances initiale pour 2008 maintenait un niveau élevé de crédits en faveur de l'informatique, avec 42 millions d'euros en autorisations d'engagement et 54 millions d'euros en crédits de paiement. La part relative de l'informatique dans le budget de fonctionnement du ministère avait également connu une forte augmentation.

L'effort ainsi accompli s'accompagne d'une bonne exécution budgétaire, avec des taux très convenables de consommation des crédits informatiques (94,9 % en 2006). Néanmoins, la moins bonne consommation de l'année 2007 s'expliquait par un taux de rotation des agents exceptionnellement élevé, et des retards de passation de marchés liés.

Concernant la passation des marchés informatiques, le nombre de contentieux affectant les marchés de son ministère reste marginal : sur environ 280 marchés annuels, on enregistre seulement 2 procédures contentieuses par an. Les conclusions du référé, selon lesquelles « les manquements aux règles du code des marchés publics sont très souvent notoires au ministère des affaires étrangères », ne paraissent pas correspondre à la réalité actuelle. Il a rappelé, en outre, qu'il n'y avait guère plus de deux ou trois entreprises capables de répondre aux appels d'offres pour les marchés les plus importants.

Il a déclaré adhérer à l'objectif visant à unifier et intégrer les systèmes d'information des préfectures et des consulats, en précisant que le ministère de l'immigration et le ministère des affaires étrangères avaient créé un comité de pilotage commun. Il a néanmoins rappelé que le ministère des affaires étrangères était seul responsable de l'organisation, du fonctionnement et de l'allocation des moyens des consulats.

M. Nicolas Warnery, directeur des systèmes d'information du ministère des affaires étrangères, a précisé par ailleurs que le taux d'amortissement des matériels informatiques était bien de quatre ans, et non pas de trois ans.

M. Francis Etienne, directeur de l'immigration du ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement, ancien directeur des systèmes d'information du ministère des affaires étrangères, a fait valoir que le Quai d'Orsay disposait d'un meilleur système d'information qu'en 2004, sans avoir la politique informatique dont cette administration avait besoin. En comparaison, le budget informatique du Foreign Office britannique est de 120 à 125 millions d'euros par an. Entre 2004 et 2008 le nombre des projets informatiques a crû de 40 %, mais les effectifs ont diminué de 8 %. En ce qui concerne le suivi des projets, un tableau de bord est consultable en permanence sur le site intranet du ministère par les responsables de programme LOLF.

Concernant la compétence sur l'informatique relative aux visas, il a remarqué que les ministères de l'immigration et des affaires étrangères partageaient le pilotage de la politique des visas. En termes de maîtrise d'oeuvre, la localisation des crédits est indifférente, et reste confiée à la direction des systèmes d'information du Quai d'Orsay. En revanche, la maîtrise d'ouvrage est du ressort du ministère de l'immigration. Il y aurait donc une logique à un transfert de crédits budgétaires vers l'administration responsable de la maîtrise d'ouvrage. Néanmoins, on devra raisonner à l'avenir en termes d'agences interministérielles pour l'informatique, par grand secteur de l'action de l'Etat, afin que celles-ci disposent d'une masse critique plus importante et puissent ainsi recruter davantage de ressources humaines de haut niveau.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l'Etat », a rappelé que la distinction faite entre maîtrise d'ouvrage et maîtrise d'oeuvre validait l'amendement, déposé dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2008, relatif au transfert des crédits informatiques des visas au ministère de l'immigration. Depuis l'entrée en vigueur de la LOLF, la notion de « base budgétaire » n'a plus de raison d'être, puisqu'on raisonne désormais au « premier euro », et non plus dans une logique de « services votés ».

Rappelant que le contrat de modernisation signé entre le ministre du budget et le ministre des affaires étrangères, pour la période 2006-2008, prévoyait la mesure de la performance du système d'information, il a souhaité connaître le tableau de bord du ministère. Il a pris deux exemples : celui du projet « Schuman », relatif à la modernisation de l'application informatique des télégrammes diplomatiques, dont le cahier des charges était visiblement prêt dès 2004, et le projet d'administration électronique des Français de l'étranger, dont il a souhaité connaître le budget prévisionnel et le budget réévalué.

Il a exprimé, par ailleurs, dans le cas des centres des études en France (qui permettent aux étudiants étrangers de procéder à l'ensemble de leurs formalités en ligne dans les universités françaises), le sentiment que la stratégie du ministère des affaires étrangères avait évolué « au fil de l'eau ». Un outil informatique avait d'abord été développé par une société privée, puis, devant les critiques des utilisateurs, le choix avait été fait d'une réalisation pilotée par le ministère des affaires étrangères, avec l'assistance d'un cabinet extérieur. A cette occasion, dans le cahier des charges, ce cabinet Kleegroup avait parlé d'une société « présélectionnée ». La Cour des comptes appelant à juste titre l'attention sur le nécessaire respect des conditions de mise en concurrence et de transparence, il s'est demandé comment cette société avait été retenue. Il a précisé avoir constaté des dysfonctionnements dans la mise en place, en 2007, des nouveaux centres des études en France.

M. Nicolas Warnery a reconnu que le projet « Schuman » avait pris du retard, les marchés publics ayant été renégociés. Il a indiqué que le déploiement de l'application avait débuté en 2007, et devrait être achevé en 2009. S'agissant des centres des études en France, il a également reconnu des dysfonctionnements, en raison de modifications techniques, les utilisateurs ayant eu des difficultés avec le logiciel à l'automne 2007 et au début 2008.

M. Alain Catta, directeur des Français à l'étranger et des étrangers en France du ministère des affaires étrangères, a évoqué le partage des rôles entre son ministère et le ministère de l'immigration s'agissant des visas, reconnaissant que l'exercice de la compétence partagée n'était pas « simple » au quotidien. Il a plaidé pour un gestionnaire unique en ce qui concernait les crédits des visas, qui devait être le Quai d'Orsay, celui-ci étant responsable du fonctionnement des consulats. Il souhaitait oeuvrer de concert avec le ministère de l'immigration dans la définition des orientations à donner aux crédits informatiques relatifs aux visas. S'agissant du projet « Racine » d'administration électronique des ressortissants français à l'étranger, il a indiqué qu'il avait été lancé en 2005 et introduit progressivement dans les consulats en 2007. Il a remarqué que les difficultés de fonctionnement tenaient au réseau, les liaisons par satellite utilisées dans certains pays étant moins performantes que la fibre optique à laquelle on avait recours dans d'autres postes.

M. Francis Etienne a rappelé, s'agissant des centres des études en France, que les établissements culturels à l'étranger constituaient 600 entités distinctes en termes informatiques, dont les projets n'étaient pas nécessairement coordonnés. Il a précisé que les centres des études en France étaient nés au départ d'une initiative locale, qui avait ensuite été généralisée sur la base des services offerts par une société privée. Il s'est félicité de ce que le ministère des affaires étrangères ait ensuite décidé de développer une application informatique généralisable à l'ensemble du réseau, dont le coût était bien moindre que la solution précédente.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rappelant qu'elle était utilisatrice de l'informatique du Quai d'Orsay, a jugé de manière favorable le service offert, en faisant valoir l'informatisation réussie de l'état civil des Français nés à l'étranger, et l'effort de formation considérable au sein des consulats. S'agissant des difficultés à trouver la bonne adéquation entre les projets informatiques et les utilisateurs, elle a souhaité que les agents de catégorie B, qui étaient les utilisateurs effectifs, soient davantage consultés.

M. André Ferrand, rapporteur spécial de la mission « Immigration, asile et intégration », a jugé, s'agissant des questions de compétences sur les crédits informatiques relatifs aux visas, que celles-ci trouveraient une réponse au fur et à mesure du fonctionnement du comité de pilotage évoqué par plusieurs intervenants. Il s'est inquiété du manque de coordination avec les autres systèmes informatiques des consulats des pays de l'espace Schengen. Il a regretté l'éclatement des systèmes informatiques des différentes administrations françaises à l'étranger, qui reposaient, dans certains cas, sur un manque de confiance fait aux systèmes d'information du Quai d'Orsay. Il a souhaité connaître, en termes de coût et de sécurité, le bilan des procédures de vote électronique pour les élections à l'Assemblée des Français de l'étranger.

M. Francis Etienne a indiqué que les visas Schengen représentaient un vaste champ possible de coopération. Il a précisé que la France pouvait assumer au titre de la solidarité communautaire une part prépondérante des visas Schengen dans certains pays, et que ceci devait inciter à la mutualisation des moyens avec les autres Etats européens. S'agissant de la multiplicité des systèmes informatiques dans les postes à l'étranger, il a jugé que le décret de 1979 sur les pouvoirs des ambassadeurs n'avait pas trouvé de traduction en matière informatique.

A titre purement personnel, il a exprimé des réserves sur le vote électronique, hors utilisation dans le cadre professionnel, rappelant son coût, en raison des contraintes de sécurité, le tout pour un impact faible sur la participation électorale.

En réponse à une question de M. Yves Fréville, M. Nicolas Warnery a précisé que son ministère entendait avoir recours au système d'information et de ressources humaines interministériel, sous réserve d'adaptations.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l'Etat », s'est interrogé quant au retour sur investissement des dépenses informatiques. On sait ainsi que la procédure du télégramme diplomatique est utilisée en masse par les postes, notamment pour la transmission d'informations de type administratif. Dans ce contexte, il a souhaité savoir si la réalisation du projet « Schuman » avait modifié en profondeur les modes de communication interne du Quai d'Orsay, ou au contraire si l'on avait « plaqué » le système informatique sur l'existant, sans le rénover au préalable.

M. Nicolas Warnery a indiqué que le retour sur investissement était difficilement chiffrable, mais que certaines applications informatiques permettaient des économies d'emplois, de l'ordre de plusieurs dizaines d'emplois dans le cas du projet « Schuman ». Le télégramme diplomatique, parce qu'il est sécurisé et officiel, reste un mode de communication administratif important au sein du Quai d'Orsay.

 

 


Publié le 11 février 2008