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Kouchner, ministre de… ce qui reste

Plutôt que de rester, pour l’Histoire, le Henri Dunant du XXème siècle, Bernard Kouchner préfère devenir ministre des Affaires étrangères de M. Sarkozy. La prise serait bonne si le ministère ne se vidait pas de son contenu, ne laissant au Quai d’Orsay et à ses services qu’une pâle réplique de son prestige d’antan, les apparences et non la réalité du pouvoir.

En effet, dans l’architecture du nouveau gouvernement, le ministère des Affaires étrangères perd ce qui lui restait d’autonomie, voit des responsabilités essentielles lui échapper au profit du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale et courbe déjà la tête sous la menace des coupes budgétaires préconisées par M. Woerth, devenu ministre des Comptes de l’Etat, dans son rapport parlementaire de juillet 2006.

Le ministre des Affaires étrangères, du fait de la création du Conseil de Sécurité Nationale placé auprès du Président de la République, doit renoncer à un rôle de premier plan dans la définition de la politique internationale de la France. Certes, la pratique de la Vème République avait déjà donné la prééminence dans ce domaine au Président de la République. Mais le ministre des Affaires étrangères participait aux choix essentiels. Dorénavant, c’est le Conseil de Sécurité Nationale, dirigé par un des meilleurs et des plus expérimentés des diplomates, Jean-David Lévitte, qui décidera des options internationales de la France, en position de force institutionnelle et politique, face au ministre en titre qui devra s’incliner.

Dans la foulée, deux compétences qui relevaient jusqu’alors du ministère des Affaires étrangères lui échappent : le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale et…du Co développement s’arroge la délivrance des visas d’entrée en France et la définition de l’aide publique au développement affectée par la France aux pays d’origine des immigrants.

Délivrer des visas est une fonction éminemment diplomatique qui comporte, certes, une dimension policière. Mais la fonction diplomatique prime, car c’est de l’accueil au service des visas que dépend la qualité de la relation d’un peuple étranger avec notre pays, et les consuls éclairés contrôlaient les dérives policières de leurs services. Dorénavant, foin des considérations politiques, économiques, humaines, culturelles : la délivrance des visas d’entrée en France se réduit à une fonction purement policière. Le CICI (Comité interministériel de contrôle de l’immigration) projetait la captation des délivrances de visa depuis sa création en 2005. Voilà qui est réalisé. L’Ambassadeur n’aura plus qu’à se taire face à un service sur lequel il n’aura plus autorité et le ministère des Affaires étrangères s’efforcera de nouer avec nos partenaires étraLes Français de l'étranger seuls citoyens sans députée l’Immigration et de l’Identité nationale s’empressera de trancher. /font>

Exit aussi le « Co-développement » qu’il va falloir disjoindre de l’aide publique au développement, alors que le ministre des Affaires étrangères n’en contrôlait déjà qu’une partie. Il faut savoir qu’en novlangue sarkozyste « co-développement » signifie l’obligation faite aux pays pauvres de retenir leurs migrants et de les réadmettre lorsqu’ils sont expulsés, en contrepartie de l’attribution de l’aide publique française. Cette politique a été mise en œuvre dès l’été 2006. Le CICI, via le ministère de l’Intérieur, contrôle la négociation des accords de coopération (« les documents cadre de partenariat ») entre la France et les pays d’origine des migrants. Il impose ses priorités au détriment des véritables programmes de développement. Bernard Kouchner devra avaliser cette politique, en contrepartie de quoi il pourrait peut-être lancer un programme humanitaire de fourniture d’eau aux migrants africains égarés dans le Sahara.

Enfin, ce ministère qui n’a jamais su défendre son budget va trouver face à lui, pour la préparation de la loi de Finances 2008, le plus résolu des ministres du Budget : Eric Woerth, auteur du rapport « Service de l’Etat à l’étranger : la dispersion des forces » paru en juillet 2006. Si le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, accepte que les préconisations d’Eric Woerth soient mises en œuvre grâce à la loi de Finances, il ne restera pas grand-chose du réseau consulaire et de la diplomatie culturelle française dans 5 ans : fermeture de la plupart des consulats d’Europe, réduction du personnel partout ailleurs dans le monde et, pour les Français, service public réduit à la téléadministration (accès aux services par des bornes électroniques), réduction du réseau culturel, particulièrement en Europe.

Dans un tel cadre, les Français à l’Etranger peuvent s’attendre à une aggravation de la politique qu’ils subissent depuis 5 ans et qui a valu au candidat de l’UMP une forte érosion de ses positions en Union européenne, en Afrique et en Amérique latine. Les suffrages exprimés, jusqu’à une mise en minorité impressionnante en Afrique francophone, apportent un cinglant démenti à l’affirmation de Bernard Kouchner selon laquelle « la politique étrangère n’est ni de droite, ni de gauche ». Deux millions de Français sont en attente de la restauration du service public consulaire et d’une véritable action sociale en faveur des défavorisés alors que le ministre des Comptes de l’Etat s’y opposera. Comment Bernard Kouchner gèrera-t-il cette contradiction, lui qui a construit sa réputation sur son efficacité dans la gestion des crises humanitaires ou politiques et qui se voit confié un ministère des Affaires étrangères vidé de sa substance et d’une réelle liberté d’action ?

Monique Cerisier ben Guiga
Sénatrice des Français établis hors de France


Publié le 21 mai 2007