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BIP n° 10 - « Vote conforme » sur le projet de loi réformant l'adoption : Le Sénat se suicide

« Voter conforme » au Sénat est-ce anodin ? Non ! C’est de l’ordre du suicide, suicide du Sénat et de la démocratie représentative. Le moyen est indolore et plus pernicieux encore que l’habilitation du gouvernement à légiférer par ordonnance que le Parlement votera bientôt. Depuis le retour de la droite au pouvoir en 2002, la pratique du vote conforme par la majorité sénatoriale est un déni des responsabilités du Sénat.

De quoi s’agit-il ? Lorsqu’un projet de loi est adopté à l’Assemblée nationale et qu’ensuite le Sénat le vote à son tour sans en modifier une virgule, il devient la loi, celle qui s’impose à tous les citoyens. En réalité, le texte n’a été examiné qu’une fois et aucune de ses insuffisances, ses défauts de fond et de rédaction n’auront été corrigés avec soin par la représentation nationale.

Le débat au Sénat sur le texte destiné à modifier les structures de l’adoption, le 22 juin, n’en est malheureusement qu’une illustration parmi d’autre.
Le gouvernement s’était accordé avec la majorité pour que rien ne soit changé à la proposition de loi du député Nicolin après son adoption à l’Assemblée. Elle arrivait au Sénat avec tous ses défauts et, en particulier ses imprécisions sur l’Agence Française de l’Adoption, structure nouvelle, et donc le renvoi au décret – c’est-à-dire à la décision du gouvernement – de tous les points importants : composition du conseil d’administration, financement, méthodes à mettre en œuvre pour faciliter l’adoption d’enfants étrangers.
Circonstance aggravante, le texte avait été inscrit à l’ordre du jour une semaine seulement avant le débat en séance publique : travail en commission quasi inexistant, préparation dans la hâte pour les parlementaires.

En moins de 5 heures, la messe a été dite : le ministre Philippe Bas ne se donnait même pas la peine de faire semblant d’écouter les parlementaires. Ses réponses étaient préparées d’avance. Les sénateurs de la majorité présentaient leurs amendements et les retiraient docilement, à la demande du rapporteur et du ministre (une seule exception, celle de M. Seiller). Quant aux amendements de l’opposition, ils étaient rejetés par un vote automatique de la majorité.

Cette parodie de débat s’est jouée des dizaines de fois depuis trois ans. On a même vu des cas où les UMP « de garde » n’intervenaient pas du tout, ne présentant pas le moindre amendement, ne critiquant même pas ceux de la gauche. « Conforme », il faut voter « conforme ». Silence. Des parlementaires qui parlent ? « L’efficacité gouvernementale » n’a que faire d’une pareille anomalie.

Dans ces conditions, à quoi le Sénat sert-il ? A organiser des colloques, des journées sur « le printemps des démocraties », à monter des expositions, à faire représenter la Traviata ? Et le travail législatif, seule véritable justification de son existence ? Bâclé, privé de sens. Alors, pourquoi maintenir le Sénat, la deuxième chambre du Parlement, le pouvoir législatif ?
Puisqu’il se comporte en anomalie de la démocratie – alors qu’en réalité seul son mode d’élection est une anomalie -, il serait peut-être plus utile d’achever la transformation du Palais du Luxembourg en espace culturel à l’usage des Parisiens.

Monique Cerisier-ben Guiga
Sénatrice socialiste représentant les Français établis hors de France,
Vice Présidente de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées


Publié le 27 juin 2005