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Contre les mariages mixtes

Un point de vue très intéressant paru dans les pages Rebonds du lundi 15 octobre 2007

Par Hervé Le Bras, directeur d'études à l'EHESS et Benjamin Stora, professeur d'histoire du Maghreb à l'Inalco

Dans les pièces de Molière, l'amour triomphe toujours du mariage forcé concocté par les parents. et la famille. Aujourd'hui, Molière prendrait sans doute pour héros des couples mixtes dont les lois sarkoziennes tentent d'empêcher le mariage. Avec la nouvelle loi en discussion, l'Etat républicain reprend le rôle des familles sous l'Ancien Régime. En effet, près de 50% des regroupements familiaux concernent l'entrée d'un étranger ou d'une étrangère marié(e) avec une Française ou un Français. Le terme de regroupement familial que l'on imagine désigner l'arrivée d'enfants étrangers souhaitant rejoindre leurs parents étrangers installés en France est fallacieux. Un cinquième seulement des regroupements familiaux correspond à cette configuration, soit 16000 personnes qui ont rejoint leurs parents étrangers en 2003. Les gros contingents du regroupement familial sont constitués par les étrangers conjoints de Français (37000), les membres de familles de Français (16500), les parents d'enfants français mineurs résidant en France (8200) et les conjoints étrangers d'étrangers (10700). Plus des deux tiers des regroupements familiaux concernent donc des familles françaises.
Le brouhaha organisé autour du regroupement familial des enfants d'étrangers avec son cortège de tests ADN et d'apprentissages de la langue française n'aurait-il pas pour but de cacher les intentions véritables d'un gouvernement qui chercherait en réalité à limiter les unions mixtes? C'est bizarre si l'on songe que ces unions mixtes sont toujours présentées comme l'une des voies les plus sûres de l'intégration, celle du conjoint étranger et plus encore celle des enfants à venir. Pourquoi un gouvernement qui affirme haut et fort son engagement pour l'intégration tenterait-t-il d'interdire le meilleur moyen d'insertion? Pour le comprendre, il faut regarder de plus près d'où viennent les conjoints étrangers des unions mixtes. La majorité est en effet d'origine algérienne et marocaine. Cela correspond à une désorganisation du marché matrimonial des descendants d'immigrés d'Afrique du Nord. Garçons comme filles subissent les conséquences de l'hypergamie féminine, c'est-à-dire de la tendance, générale en Europe des filles à épouser un garçon de leur milieu ou d'un milieu supérieur mais non d'un milieu inférieur. il en résulte un célibat élevé des jeunes garçons au bas de l'échelle sociale et des jeunes filles au haut Encore maintenant, on constate ce phénomène pour l'ensemble des Français, même s'il est moins marqué qu'il y a trente ans quand le célibat définitif des garçons restés petits agriculteurs dépassait 30 % et celui des filles ayant de longues années d'études universitaires, 20 %, alors que, dans toutes les autres couches de la population, moins de 10% des personnes ne se mariaient pas.
Beaucoup de jeunes beurs ne trouvent pas de conjoints, mais les jeunes beurettes non plus car les plus éduquées, souvent, ne souhaitent pas se marier dans leur milieu d'origine en raison de l'hypergamie. Dans ces conditions, chercher un conjoint au Maghreb offre une solution de rechange pour éviter le célibat. En empêchant ce recours par le biais d'un contrôle accru du regroupement familial, le gouvernement actuel peut sembler poursuivre deux buts: soit pousser à l'émigration ceux ou celles qui veulent épouser une ou un étranger, les inciter à se marier et à s'établir en Algérie ou au Maroc auprès de leur conjoint, ce qui réduirait leur nombre en France; soit confiner ces jeunes dans le célibat de manière à ce qu'ils se reproduisent peu. En d'autres termes, pratiquer une eugénique négative.
La première possibilité ne semble pas numériquement importante. L’émigration des descendants d'immigrés se dirige plus vers l'Angleterre et le Canada que vers le pays d'origine de leur famille. La seconde possibilité, outre qu'elle nous ramène à l'immoralité de l'eugénique d'avant la Seconde Guerre mondiale, peut avoir de graves conséquences sociales. Dans plu¬sieurs travaux, le sociologue Hugues Lagrange a montré que le célibat forcé des jeunes de la seconde génération était l'une des causes des flambées de violence en banlieue. En entretenant le célibat, on maintient cette violence qui à son tour laisse les Français dans un sentiment d'insécurité. C'est une constante de l'histoire humaine que des dirigeants ont cherché et souvent réussi à transformer les jeunes en guerriers parfois dangereux en organisant leur frustration sexuelle. Des bodoï vietnamiens aux troupes adolescentes de Charles Taylor au Liberia en passant par les terroristes se suicidant dans l'espoir de trouver des vierges au paradis, la liste est longue. Le ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale cherche-t-il à l'allonger en y ajoutant les jeunes des cités?


Publié le 16 octobre 2007