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BIP n° 34 - À la mémoire d'Allende

La mort hier d’Augusto Pinochet, le dictateur aux mains de sang qui asservit le Chili de septembre 1973 à décembre 1989, c’est d’abord pour ceux de ma génération un flot de souvenirs : ce sentiment d’injustice devant l’attaque par l’armée du palais de la Moneda, le suicide, les armes à la main, de Salvador Allende, le rôle des États-unis dans le reversement d’un gouvernement de gauche légitimement élu. Puis la création, en France, des Comités Chili et Secours Rouge qui regroupaient toutes les forces républicaines et progressistes, le suivi de la situation heure par heure dans la grande salle du FIAP, rue Cabanis (là même où l’ADFE se réunit) transformée en QG, l’espoir que la marine chilienne se désolidariserait, que les syndicats lanceraient une grève générale, le projet de créer une brigade internationale qui irait se battre aux côtés du peuple chilien ….
Puis est venue la répression atroce des militants et défenseurs de la démocratie, l’exil pour ceux qui le pouvaient, les stades et les camps pour les autres, et notre impuissance d’autant plus grande que nous nous déchirions entre le PC, le PSU et les groupes trotskystes et ultra sur la ligne politique et sur le contrôle des comités, d’autant plus que nous criions plus fort, « el pueblo unido jamas sera vencido ! »

De ce moment d’Histoire émerge la grande figure de Salvador Allende qui sut construire une stratégie commune avec l’ensemble des partis de gauche, « l’Unité Populaire », combinant les thèses du Front Populaire appliquées en Europe dans les années 36, avec celles des Fronts de Libération Nationale latino-américains des années 60. Il avait résisté aux dérives populistes et justicialistes du Parti Socialiste chilien que Péron fascinait, allant même jusqu’à le quitter en 1952.
Il a poursuivi un politique de transition pacifique vers le socialisme basée sur des changements économiques radicaux menés par voie légale : expropriation des grands propriétaires fonciers, nationalisation du crédit, de l’assurance, des mines de cuivre, système de santé gratuit, blocage des prix, augmentation importante des salaires, très similaire à ce que sera, 11 ans après, le programme de François Mitterrand.

Et la suite se déroulera selon un scénario malheureusement bien connu : blocus discret des États-unis, inflation galopante, tensions sociales avec une radicalisation des classes moyennes contre le régime et des classes populaires qui le soutiennent, grèves politiques des camionneurs bloquant le pays, des commerçants, une stratégie d’affrontements de la droite malheureusement relayée par l’extrême gauche pensant que le moment était venu de passer à la lutte armée révolutionnaire.

En France cela s’est terminé par les mesures d’austérité de 83-84 et la suspension de l’application du programme, confirmant malheureusement ce mythe des « 100 jours » décisifs et la malédiction qui frappe l’action économique des gouvernements de gauche jusqu’à Michel Rocard et Lionel Jospin.

Au Chili, la fin a été le coup militaire et le suicide de Salvador Allende.

« El Companero Presidente » comme on l’appelait a toujours privilégié le respect de la légalité et développé une conception morale et humaniste du socialisme démocratique, celle de Jaurès, de Blum et de François Mitterrand.

C’est à lui et aux valeurs qu’il représente que je veux penser aujourd’hui.

Richard Yung
Sénateur des Français établis hors de France


Publié le 11 décembre 2006