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BIP n° 8 - 81% de oui

Les deux millions de Français établis à l’étranger sauvent l’honneur avec les 81% de oui par lesquels ils ont approuvé le traité constitutionnel. Qu’ils vivent en Europe (la moitié d’entre eux), en Asie, en Amérique, en Afrique, ils avaient une conscience aiguë de l’enjeu de civilisation dont ce texte est porteur. Ils ont donné leurs voix à la construction d’une Europe politique capable de défendre des droits fondamentaux dont la majorité des peuples sont trop souvent privés.

Les Français de l’étranger ont voté oui à 81%. Ce n’est pas parce qu’ils sont riches. Seuls 7% d’entre eux bénéficient de revenus très supérieurs à ceux qu’ils auraient en France. Les autres travaillent durement, souvent sans assurance-maladie ni assurance vieillesse et, dans les pays pauvres, ils rêvent du pactole du SMIC.

Mais ce n’est pas un hasard si des Français de toutes conditions sociales, éparpillés dans le monde, se sont reconnus dans un texte issu d’une difficile négociation. Vivre à l’étranger, c’est perpétuellement négocier entre la préservation de son identité et l’adaptation à la société d’accueil. C’est, selon la devise de l’Union européenne, vivre « unis » avec ses hôtes « dans la diversité ». Vivre à l’étranger donne aussi une conscience aiguë des risques que la mondialisation fait peser sur les sociétés humaines mais aussi des chances qu’elle offre, pour peu qu’on sache construire des ensembles continentaux solidaires dont l’Union européenne constitue le premier exemple historique.

Aujourd’hui, l’Union européenne est en danger parce que la majorité du peuple français en a voulu ainsi. Dire non à Chirac et Raffarin, à l’injustice sociale grandissante, au chômage, comme on le comprend, comme c’est justifié. Ce vote souverain du peuple mérite le respect.

En revanche, les démagogues de toute obédience qui ont soit désigné l’Europe comme la cause de toutes ces souffrances, soit présenté ce traité comme un chiffon de papier (s’il s’agissait des droits fondamentaux), soit comme un marbre gravé (s’il s’agissait des politiques économiques) ont trompé les Français. Sans parler des nostalgiques de l’économie administrée soviétique, au parti socialiste et dans l’extrême gauche…

Aujourd’hui, l’Union européenne est en danger. Elle va continuer sans nous, les fondateurs : libre marché de 451 millions de consommateurs soumis aux seules lois du capitalisme financier (la City et Wall Street pavoisent). Elle ne deviendra pas de sitôt l’Union politique des nations de l’Europe réunifiée, capable de peser dans les affaires du monde (Georges W Bush pousse un soupir de soulagement). Les mafias, les trafiquants de femmes et d’enfants prostitués pourront vaquer à leurs affaires internationales face à des justices empêtrées dans le réseau des frontières. Et face aux génocides d’aujourd’hui et de demain, face aux milliards d’enfants affamés, les Européens, privés de moyens d’intervention, continueront à détourner les yeux, faute d’armée et de diplomatie commune pour intervenir. Il faut vraiment vivre à l’abri dans l’hexagone pour pouvoir refuser de voir ces conséquences tragiques du 29 mai 2005.

L’Europe et le progrès de l’humanité ont perdu une bataille en France le 29 mai 2005. Quand on perd une bataille, il faut s’acharner au combat pour gagner la guerre. Une guerre politique qu’il faudra mener toutes ces prochaines années pour la paix en Europe et dans le monde. Elle vaut la peine d’être menée.

Monique Cerisier-ben Guiga
Sénatrice socialiste représentant les Français établis hors de France,
Vice Présidente de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées


Publié le 31 mai 2005