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BIP n° 14 - Cerbères

Les immigrés ne sont pas les bienvenus dans la prospère Europe, on le savait, mais on préférait ignorer comment elle les repousse. On se doutait bien qu’au large de la Sicile chaviraient des barques surchargées, on ne voulait pas savoir qu’au petit matin les douaniers évacuaient discrètement des dizaines de cadavres apportés par le flot.

Il est maintenant impossible d’oublier les images insoutenables de ces centaines d’émigrants africains transférés en bus dans l’extrême sud du Maroc, puis abandonnés en plein désert, sans eau ni provisions, parfois même menottés, pour avoir commis le crime de s’être approchés trop près de nos frontières.
Les méthodes employées par les troupes marocaines – vouées par la géographie à faire le sale travail – évoquent la férocité des Cerbères, ces chiens préposés à la garde des enfers. Car que fuient ces populations, sinon l’enfer de la misère et de l’absence de tout espoir d’une vie meilleure. L’accès au monde européen concrétisait leur rêve d’une existence digne et décente, un travail et des conditions de vie convenables, de quoi faire vivre leurs familles et leur village. Ce rêve les avait soutenus au cours des mois, voire des années d’errance vers Ceuta ou Melilla. Les conditions de leur retour forcé sont totalement inhumaines.
Renonceront-ils pour autant à tenter leur chance, eux qui n’ont rien à perdre ? Le fossé de 3 mètres de profondeur que l’armée marocaine va creuser autour de Melilla, et qui s’ajoutera au mur, aux clôtures, aux grillages, les découragera-t-il ? Evidemment non.

Une fois que les méthodes sont condamnées, reste à trouver une solution à un problème auquel tous les grands pays développés sont confrontés : l’Europe, mais aussi les USA, l’Australie. Force est de reconnaître que les diverses formules mises en œuvre n’ont pas réussi, ou sont contraires à nos idéaux de solidarité. C’est le cas de la politique proposée par Sarkozy, qui se place uniquement sur le terrain sécuritaire et répressif. La méthode des « quotas » d’immigrés tolérés ou recrutés en vue de répondre aux besoins du marché du travail est, quant à elle, une fausse bonne idée : d’une part c’est une réponse à court terme, d’autre part elle ne prend pas en compte l’objectif d’intégration.
Il nous faut aussi reconnaître que le modèle d’intégration à la française ne fonctionne plus, que l’extrême dénuement des populations immigrées, la crise de l’emploi, la ségrégation dans le logement, aboutissent à une communautarisation des sociétés étrangères dont on voit, dans les pays anglo-saxons, les dégâts et les dangers.
C’est d’ailleurs au niveau de l’Union Européenne que pour être efficace doit être menée une politique de l’immigration – et on en est loin.

Tant qu’une partie de la planète vivra en dessous du seuil de pauvreté, l’immigration zéro sera illusoire et blâmable. La seule réponse est donc dans le développement, dans la collaboration avec les pays africains sur des contrats de projet. C’est une œuvre de longue haleine. A plus brève échéance, il doit être possible, chez nous, de démanteler les filières d’immigration clandestine et de faire la chasse aux ateliers clandestins. Enfin, il faudrait prendre la décision courageuse de régulariser ceux qui sont arrivés et vivent sans papiers, sans protection et dans la peur du renvoi.


Richard Yung
Sénateurs représentant les Français établis hors de France


Publié le 12 octobre 2005