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BIP N° 73 - Une leçon pour le monde

L’Amérique : une nation conservatrice, belliqueuse et centrée sur elle-même, c’est ce que l’on pensait encore il y a peu, après la réélection de Georges W. Bush. C’est pourtant le même pays qui, quatre ans plus tard, inflige une leçon au monde en élisant un président démocrate, progressiste et d’origine kényane : Barack Obama. Cet événement est une première non seulement pour les Etats-Unis mais aussi pour l’ensemble des anciennes puissances coloniales ou esclavagistes… Ceux qui rallaient hier les Américains feraient bien, aujourd’hui, de s’en inspirer...

Que s’est-il donc passé depuis 2004 pour que le peuple qui a élu Georges Bush, symbole d’un néoconservatisme crispé aux intonations religieuses, place désormais à sa tête, Barack Obama ? Un vote est toujours complexe et répond à plusieurs logiques mais l’on peut essayer d’en dégager les grandes tendances.

Il y a d’abord eu une immense déception, et même de la rancœur, à l’égard de l’administration Bush : l’enlisement en Irak et en Afghanistan, et puis surtout la crise et les millions de citoyens mis à la porte de leur maison ont provoqué une prise de conscience radicale aux yeux de tous… Il y a eu, aussi, la campagne désastreuse de John Mc Cain puis de son extravagante colistière, Sarah Palin. Un attelage improbable entre un homme traditionnellement centriste ayant viré à droite par pur opportunisme et une femme très conservatrice, exaltée, aux propos parfois surprenant d’absurdité…

Et puis il y eut un homme. Un homme qui, en dépit des préjugés d’une société où la discrimination raciale était encore légale il y a 40 ans, a décidé de croire en lui et aux idées qu’il porte. Un homme à qui l’on ne donnait aucune chance lorsqu’il a annoncé sa candidature il y 18 mois, et qui a fait preuve d’un incroyable pouvoir de conviction. Durant les primaires, puis pendant sa campagne, il a toujours gardé une ligne de conduite unique, claire et une force réellement impressionnante. Il a innové dans sa façon de faire de la politique en investissant des terrains nouveaux comme internet et en s’appuyant sur des populations restées, jusqu’alors, éloignées du monde politique : les jeunes, les communautés noires ou latinos, beaucoup de femmes aussi. Barack Obama leur a prouvé que la démocratie avait un sens et que leur voix comptait. Il a eu un langage simple et porteur d’espoir, sans tomber dans les travers du populisme ou de l’idéalisme. Il est resté profondément humain. Il a du affronter des attaques dures, de la part d’Hillary Clinton puis de l’équipe de John Mc Cain. Les arguments utilisés contre lui montrent d’ailleurs que le racisme est très loin d’avoir disparu dans les mentalités : Barack ‘Hussein’ Obama a du se défendre d’être « musulman » ou « arabe », comme s’il s’agissait d’une insulte. Ne crions donc pas victoire trop vite car les préjugés ont la vie dure et que, pour beaucoup d’Américains comme d’ailleurs pour un grand nombre d’Européens, « musulman » rime toujours avec « terroriste »…

Mais il est malgré tout certain que cette élection marque un virage dans l’histoire de l’Humanité. Barack Obama n’a pas été élu parce qu’il est noir. Il n’est pas le fruit de la discrimination positive. Personne ne lui a fait de cadeau. Le soupçon d’un racisme latent qui s’exprimerait dans le secret des urnes a d’ailleurs persisté jusqu’au bout. Mais, non. Barack Obama a été élu parce qu’il est bon. Et c’est à cela que nous devons réfléchir. Quand un candidat est porteur d’idées fortes, une nation réputée abstentionniste se déplace à 65% pour aller voter. Quand un candidat parle juste et est sincère, un peuple perçu comme raciste élit un noir pour le représenter. Et c’est ce qui nous touche profondément car c’est un geste qui redonne de la hauteur au politique.

Dans le monde, en Europe, en France ou au Parti Socialiste : il y a une leçon à tirer. Donnons leur chance à tous ceux qui sont bons, qui portent un message juste et des propositions nouvelles quelque soit leur couleur, leur religion, ou leurs orientations sexuelles. Il faut qu’ils puissent être mis en situation. En situation de convaincre, en situation de gagner. Notre pays est un vivier de la diversité. Pourtant, trop souvent, les talents qui en sont issus ne trouvent pas leur place dans un univers politique encore très uniforme et peureux. Les partis, PS inclus, n’osent pas présenter de candidats noirs ou beurs aux élections de peur que les votants ne les rejettent. Le Gouvernement actuel comprend, certes, des figures de cette diversité. Mais Rachida Dati ou Rama Yade n’ont pas été élues et l’absence de légitimité populaire ouvre la porte aux critiques les plus vives à leur égard. C’est que la crédibilité réelle naît de l’onction démocratique procurée par le vote.

La politique est faite de risque. Prenons le risque de laisser aux hommes et aux femmes politiques les meilleurs l’occasion de se présenter, même s’ils sont de couleur. Prenons le risque de leur donner la chance de convaincre. Prenons le risque de faire confiance aux citoyens et de se dire que, lorsqu’un candidat est bon, ils sont capables de dépasser leurs éventuels préjugés !

Qui eu cru que c’était l’Amérique qui nous donnerait cette leçon ?

Richard Yung


Publié le 07 novembre 2008