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BIP n° 49 - Français ??? Prouvez-le !

Lettre ouverte à la ministre de la Justice, Garde des Sceaux

Madame la Ministre,

Français résidents à l'étranger, nés à l'étranger ou nés de parents nés à l'étranger, nous subissons à nouveau depuis 2002, après une crise en 1986 ­ 1988 et une autre en 1993 -­ 1997, c'est-à-dire à chaque fois que la droite prend le pouvoir, de tracasseries innombrables relatives à la preuve de notre nationalité.

Les certificats de nationalité française sont exigés, souvent sans justification valable, à l'occasion de nombreux actes de la vie administrative : délivrance de cartes nationales d'identité, de passeports, de cartes vitale. Ces exigences concernent pourtant des personnes qui ont toutes les caractéristiques de la possession d'état de Français : fonctionnaires ou militaires lors de leur demande de pension de retraite, personnes très âgées, jeunes à patronyme africain, arabe ou nés en France dont les parents eux-mêmes sont nés dans des territoires français avant les indépendances, donc bénéficiaires du droit du sol au titre de la double naissance sur notre territoire.

Simultanément, les moyens de délivrer les certificats de nationalité ne sont pas donnés aux greffes : greffiers spécialisés en nombre très insuffisant, insuffisance du personnel pour l'exécution des tâches administratives (ouverture du courrier, reproduction de pièces… quand il y a des photocopieurs en état de marche). Le pire est atteint au greffe de Paris 1er, rue du Château des Rentiers où sont centralisées les demandes des Français de l'étranger : plusieurs dizaines de milliers de demandes en instance, un délai de 10 mois pour l'envoi d'un accusé de réception, d'un à deux ans pour la délivrance du CNF.

La situation de Mme Abitbol, révélée par un article paru dans Libération récemment, est emblématique : Mme Abitbol est née en 1950 en France, l'Algérie ayant été Française jusqu'en 1962. Le seul problème qui devrait se poser dans son cas, en matière de nationalité, serait de savoir si cette dame avait le statut de Français de droit commun ­- ce dont son acte de naissance suffit à faire foi -­ auquel cas les accords d'Evian font qu'elle est restée française après l'indépendance de l'Algérie. Nul besoin de CNF.

Avoir demandé à Mme Abitbol un acte religieux pour prouver qu'elle était juive, et donc bénéficiaire du décret Crémieux (1870 !), est d'abord une violation grave du caractère laïque de la République Française, mais aussi un acte de discrimination entre les citoyens sur la base du patronyme. Pas de demande de CNF, pas d'exigence de certificat de baptême si elle s'était appelée Martin.

Vous connaissez, Madame la Garde des Sceaux, probablement mieux que moi, la Convention européenne des droits de l'Homme dont la France est signataire, et je crois qu'il ne serait pas inutile de rappeler à tous vos services qu'elle interdit toute discrimination entre les citoyens sur la base de leur origine et de leur religion. Fort heureusement, ces mentions ne figurent pas sur nos documents d'état-civil.

Je vous demande instamment d'organiser une concertation interministérielle destinée à éliminer les demandes injustifiées de certificats de nationalité par des administrations publiques, dans le cadre de la charte Marianne et de la modernisation de l'Etat. Il faut que l'Etat cesse d'exiger trop fréquemment des citoyens un document que ses services ne sont pas en mesure de délivrer, et surtout dans des délais raisonnables.

Je demande la formation de greffiers compétents en matière de nationalité et leur affectation en nombre suffisant, en particulier à la rue du Château des Rentiers.

Je demande surtout que le gouvernement stoppe, au lieu de l'accentuer, la dérive « nationalitaire », évocatrice des pratiques de l'administration de Vichy dans les années 40 qui ont mené 80 000 Français et étrangers d'origine juive dans les camps d'extermination nazis.

Je vous prie d'agréer, Madame la Ministre, l'expression de ma haute considération.

Monique Cerisier-ben-Guiga
Sénatrice des Français établis hors de France


Publié le 31 août 2007