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Rencontre avec la CFDT du MAE

Le 25 février, nous avons rencontré M. Jean-Pierre FARJON et Mme Nathalie BERTHY, respectivement secrétaire général et conseillère du syndicat CFDT du ministère des affaires étrangères. Cet entretien visait à faire le point sur la réforme du réseau consulaire dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). D’après la CFDT-MAE, cette réforme se traduit par un « démantèlement » du service public consulaire.  

■ Dans un premier temps, nous avons abordé la question de la mise en place de pôles consulaires régionaux. Ces nouveaux dispositifs consistent à centraliser au niveau d’un consulat l'activité des postes consulaires d'une zone géographique donnée. En d’autres termes, les consulats « périphériques », qui sont maintenus, n’ont plus la compétence juridique pour effectuer certaines démarches administratives (transcription des actes d’état civil ; nationalité ; inscription au registre des Français de l’étranger ; délivrance des CNI et des passeports ; délivrance des visas).  

Deux pôles régionaux ont d’ores et déjà été créés autour des consulats de Vienne (République tchèque, Slovaquie, Hongrie) et de Ciudad de Guatemala (Honduras et Salvador). Deux autres pôles devraient être mis en place en 2010 : Buenos Aires (Uruguay et Paraguay) et San José de Costa Rica (Nicaragua et Panama). En revanche, il semblerait que le projet de création d’un pôle dans les pays baltes ait été abandonné.  

D’après Mme BERTHY, la mise en œuvre de ces nouveaux dispositifs est « une fausse bonne idée ». Elle part du principe – très discutable – selon lequel la centralisation serait automatiquement vertueuse. Le ministère des affaires étrangères cherche de la sorte à faire subsister le « mythe de l’universalité » du réseau consulaire.  

La création de pôles consulaires régionaux se traduit non seulement par une économie d’emplois « dérisoire » (deux emplois seulement seront supprimés dans le pôle de Vienne), mais aussi par une dégradation des services rendus aux Français.  

Le coût de la RGPP va directement peser sur les usagers. Ces derniers devront en effet obligatoirement se déplacer pour solliciter la délivrance d’un titre d’identité ou se faire immatriculer. Ainsi, étant donnée l’insécurité qui règne sur les axes routiers centre-américains, tous les Français établis au Honduras et au Salvador devront prendre l’avion pour se rendre au Consulat de Ciudad de Guatemala, ce qui représentera un coût élevé pour la plupart des familles. Pis, les parents d’un nouveau-né résidant à Prague devront lui faire traverser clandestinement la frontière s’ils veulent faire établir sa carte d’identité ou son passeport ! 

Par ailleurs, les usagers risquent d’être désorientés dans la mesure où toutes les formalités administratives n’ont pas été transférées au niveau du consulat central et les postes « périphériques » continueront de jouer le rôle de guichet.  

La mise en place de pôles consulaires régionaux ne permet pas non plus d’assurer une protection consulaire effective des ressortissants des autres Etats membres de l’Union européenne. Or, les citoyens européens ont « le droit de bénéficier, sur le territoire d'un pays tiers où l'Etat membre dont ils sont ressortissants n'est pas représenté, de la protection des autorités diplomatiques et consulaires de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat » (article 20 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). D’où la nécessité de mettre en place un réseau consulaire européen.  

Mme BERTHY s’est également interrogée sur les mesures qui seront prises en cas de crise et s’est demandée si une mission de renfort sera dépêchée sur place. Elle a souligné l’importance de maintenir des agents dans les postes consulaires afin de garantir aux Français de l’étranger un service public de proximité et de qualité. La création du centre de crise va certes dans le bon sens. Cependant, ce dernier a besoin d’« un réseau consulaire doté de moyens logistiques et humains adaptés » afin, d’une part, de faire face à des événements exceptionnels (guerres, mouvements insurrectionnels, etc.) ou des catastrophes environnementales et, d’autre part, de gérer des dossiers particuliers (décès des Français survenus à l’étranger ; enlèvements ; etc.).  

■ Autre conséquence du démantèlement du réseau consulaire : l’externalisation de la procédure de dépôt des dossiers de demande de visa. L’instruction administrative des demandes est actuellement sous-traitée dans plusieurs consulats (Russie, Chine, Inde, etc.). 

Mme BERTHY nous a indiqué que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) avait émis des réserves lorsqu’elle avait été saisie du projet d’externalisation. En effet, une même société indienne est chargée de recueillir les dossiers en Inde et en Russie, ce qui ne va pas sans susciter des interrogations s’agissant de la protection des données personnelles.  

Le coût de cette réforme est également supporté par les usagers, qui doivent payer les frais d’instruction des dossiers en sus des frais de demande de visa.  

Mme BERTHY a regretté le fait que l’externalisation prime sur la création de services consulaires européens. Elle pense que le gouvernement refuse de franchir le pas de la mutualisation des services consulaires en raison des enjeux touchant aux nominations aux postes les plus élevés. 

■ Nos interlocuteurs ont également déploré la baisse desaides sociales qui sont versées par les comités consulaires pour la protection et l’action sociale (CCPAS) aux Français se trouvant en situation de précarité à l’étranger. Le budget 2010 consacré à l’aide aux personnes a certes été maintenu à son niveau de 2009 grâce à l’intervention des sénateurs (Monique CERISIER-ben GUIGA avait présenté en tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères – en accord avec Claudine LEPAGE et Richard YUNG – un amendement afin d’abonder de 1,5 million d’euros les crédits de l’action sociale en faveur des Français de l’étranger). Cependant, ces crédits devraient baisser de 20% en 2011 puis 2012 ! 

Mme BERTHY a souligné  le paradoxe de la situation actuelle : le budget du programme 151 (« Français à l’étranger et affaires consulaires ») est en hausse alors que les services publics offerts aux Français de l’étranger se dégradent. Cela s’explique par le fait que près de 80% de ce budget est consacré à la prise en charge des frais de scolarité dans les lycées français à l’étranger et aux bourses scolaires ! En d’autres termes, la solidarité nationale profite avant tout aux Français de l’étranger les plus privilégiés. Le gouvernement envoie ainsi un bien mauvais message. 

A partir du 1er avril prochain, les consulats français dans les autres Etats membres de l’Union européenne cesseront – au nom du principe de non discrimination – de verser des aides sociales à nos concitoyens les plus démunis (à l’exception de l’aide à l’enfance en détresse). Cette mesure n’est pas opportune car nombre de nos concitoyens risquent de se retrouver dans une situation encore plus précaire car les aides sociales qui sont versées par nos voisins européens ne sont pas toutes du même montant et les critères d’attribution diffèrent d’un pays à l’autre. Pour ne citer qu’un exemple, en Espagne, une personne âgée ne bénéficiant pas d’une assurance sociale doit justifier de dix ans de résidence pour obtenir une aide financière.  

■ Dans le cadre de la RGPP, le gouvernement envisage aussi de créer, à Nantes, une « préfecture des Français de l’étranger ». D’après Mme BERTHY, il s’agit d’« un bien grand mot pour pas grand-chose ». Cette réforme consiste seulement à transférer au service central de l’état civil (SCEC) du ministère des affaires étrangères la procédure de transcription sur les registres français des actes établis dans les consulats français de Tunisie (2009) et du Maroc (2010). Concrètement, il s’agit de centraliser à Nantes la saisie informatique des actes, soit 10 à 20% de la procédure (les consulats en Tunisie et au Maroc continueront de traiter les 80 ou 90% restants).  

D’après le ministère des affaires étrangères, l’idée de centraliser la transcription des actes établis en Turquie n’est pas opportune. Il n’est pas non plus envisagé de transférer la transcription des actes établis dans les autres Etats membres de l’UE compte tenu des difficultés que cela poserait tant en matière de traduction qu’en termes juridiques (les agents consulaires recrutés dans ces pays sont en effet de fins connaisseurs de la langue et du droit locaux). La CFDT-MAE espère également que la décision de transférer la transcription des actes établis au Maroc est réversible car, dans ce cas, les économies d’emplois attendues sont dérisoires (suppression de 2 emplois de titulaires).  

Ce mouvement de centralisation va peut-être permettre un raccourcissement des délais de transcription, ce qui est positif pour les usagers. Cependant, il présente davantage d’inconvénients : il va éloigner l’usager de l’administration et entraîner un renchérissement du coût du traitement d’une transcription. En effet, 4 emplois ont été supprimés à Tunis pour créer 4 emplois de titulaires à Nantes. Or, la transcription d’un acte en France est plus coûteuse car, en Tunisie et au Maroc, cette opération est réalisée par des personnels de droit local. Par ailleurs, cette mesure va provoquer une « rupture de la chaîne de contrôle » des mariages blancs et gris

En conclusion, M. FARJON et Mme BERTHY nous ont indiqué que la CFDT-MAE n’est pas opposée à la réforme de l’Etat.  

Cependant, ils considèrent que les mesures prises dans le cadre de la RGPP sont mises en œuvre de manière trop rapideet ont pour effet d’amoindrir la qualité des services rendus aux usagers sans pour autant dégager de véritables économies : « la RGPP, c’est faire moins bien en dépensant plus » ! Et d’ajouter : « la lutte contre la fraude – leitmotiv du gouvernement – et la réduction des moyens budgétaires et humains sont incompatibles ».  

Pour la CFDT-MAE, la modernisation du service public consulaire devrait avant tout passer par une simplification des procédures et une mutualisation des moyens avec nos partenaires européens.


Publié le 04 mars 2010