LISTE DES ARTICLES

BIP n° 26 - L'Africain, voilà la cible

Avec le projet de loi Sarkozy sur l’immigration on atteint le comble du double langage. Versant francophonie, le discours de la droite ruisselle de fraternité et d'humanité : on célèbre l'union de tous ceux « qui ont le français en partage ». Versant code de l'entrée et du séjour des étrangers, chaque mesure du projet de loi vise - au sens propre - les Africains : ils sont les cibles du gouvernement, et non les partenaires. Les familles africaines sont indésirables en France, l'intention matrimoniale des conjoints étrangers est suspecte, le droit au séjour des migrants pauvres est fragilisé, le séjour illégal devient un délit imprescriptible.
Français établis hors de France, qui connaissons la condition de migrants, nous ne pouvons qu'être choqués. Qui d'entre nous supporterait, dans son pays d'accueil, la réciprocité des mesures prises par la France à l'encontre des immigrants ? Aucun pays au monde ne nous prive du droit de vivre en famille…
Quant à opposer une immigration familiale néfaste et une migration du travail choisie, quelle hypocrisie ! Comment les nounous africaines de nos blondinets parisiens sont-elles arrivées en France, si ce n'est au titre du regroupement familial ? Et les assistantes de vie, africaines aussi, de nos personnes âgées ? Personne ne les a « choisies ». Elles ont rejoint leur famille, gagnent leur vie et sont de plus en plus irremplaçables. Demandez l'avis de leurs employeurs blancs. Quant à leurs enfants, ils vaincront les handicaps et les discriminations et mêleront leurs forces et leur intelligence à celles de nos enfants.
La carte de résident en France, comme la carte verte aux États-Unis sont des outils d'intégration qui sécurisent l'étranger et facilitent le lent travail d'adaptation. C'est une condition de l'intégration, non une récompense.
Cette loi est-elle applicable ? De nombreux consuls s'inquiètent devant l'alourdissement programmé de leurs missions. Depuis le décret de mars 2005 le contrôle de la validité des mariages absorbe le temps et l'énergie des agents, au détriment de leurs autres missions. Dans un contexte déjà tendu, l'établissement de visas long séjour, pour les conjoints de Français, pour les demandeurs de la carte « compétence et talents », pour les stagiaires, pour les volontaires internationaux s'ajoutant au renforcement maniaque des contrôles, conduira à une thrombose des consulats. Les délais administratifs seront interminables et s'ajouteront à ceux que ce texte allonge à plaisir. On délivrera donc moins de visas. Mais n'est-ce pas là le but recherché ?
Les migrations ont toujours été douloureuses, dramatiques pour ceux qui s'y risquent, et difficiles pour les peuples d'accueil. Mais rendre systématiquement plus précaire la vie des immigrants ne rendra pas plus simple, plus paisible et plus prospère la vie des Français. C'est une illusion facile à vendre, mais c'est une impasse.

La sécurité et l'avenir de l'Europe passent par le développement de l'Afrique.
Plutôt que de vieillir et de nous appauvrir derrière des barricades illusoires, créons des richesses communes, préparons un avenir commun, pour notre planète si petite et si menacée.

Monique Cerisier ben Guiga
Sénatrice représentant les Français établis hors de France


Publié le 07 juin 2006