LISTE DES ARTICLES

BIP n° 24 - Sonder les reins et les cœurs ?

Les mariages contractés dans le but d’obtenir le droit de résider en France posent un problème réel et difficile. Mais est-ce en faisant peser la suspicion sur tout mariage avec un(e) étranger(e) ou sur tout mariage célébré à l’étranger, en multipliant les entraves à la vie commune et en précarisant le séjour en France du conjoint étranger que l’État va mettre fin à des abus qu’il faut en effet combattre ? Non. A travers les dossiers que je reçois, je constate l’aggravation de la xénophobie administrative à l’encontre de nos compatriotes binationaux et des étrangers, surtout en ce qui concerne la délivrance de documents et le mariage. La loi sur le contrôle de la validité des mariages célébrés à l’étranger, qui vient d’être votée à l’Assemblée Nationale et dont nous débattrons au Sénat les 30 et 31 mai, donnera un support législatif aux pratiques discriminatoires déjà en vigueur. Elle n’a pas pour objectif d’apporter des solutions nuancées à un problème complexe. Ce n’est que l’une de ces gesticulations législatives du gouvernement UMP, orientées contre les étrangers pour augmenter sa popularité dans une opinion désorientée, dont une partie est perméable à la xénophobie.

Les mariages contractés à des fins purement migratoires ont des conséquences dramatiques pour le conjoint qui en est la victime. Du mariage arrangé, entre une jeune fille française issue de l’immigration avec un cousin du pays, au mariage forcé et au mariage de complaisance rémunéré, les limites sont poreuses. Les résultats sont connus des travailleurs sociaux et du monde judiciaire : mésententes, violences, auxquelles des femmes sans défense se résignent longtemps, séparations conflictuelles fréquentes : beaucoup de vies gâchées.

Ce qui est inacceptable, c’est la généralisation du soupçon qui pèse sur tout mariage avec un étranger ou célébré à l’étranger dès que les normes culturelles du feuilleton télévisé (ils sont beaux, ils ont le même âge, ils ont eu le coup de foudre) ne sont pas strictement respectées ! Certes, il faut décourager le « mariage migratoire », mais la généralisation du contrôle préalable sur des bases subjectives a déjà dégénéré en suspicion systématique à relents racistes.

Ce qui est inacceptable, c’est le déferlement de lois et décrets, 2003, 2005, 2006 qui institutionnalisent ce soupçon et ordonnent aux officiers d’état-civil, aux consuls et à leurs adjoints de « sonder les reins et les cœurs » dans des conditions attentatoires à la dignité des personnes et sans agents formés à une tâche si délicate qu’elle s’apparente à la mission impossible, au risque avéré de sombrer dans la démarche inquisitoriale.

Mais il faut croire que l’empilage législatif et réglementaire ne suffisait pas, du point de vue de l’affichage politicien. Le projet de loi sur le contrôle de la validité du mariage multiplie les contrôles des consulats et du Parquet en préalable au mariage ou à sa transcription. Il donne au parquet la possibilité d’annuler un mariage à tout moment. Les Français de l’étranger qui subissaient déjà les lenteurs de la procédure de transcription de leurs actes d’état-civil entameront leur parcours du combattant dès leur demande de certificat de capacité à mariage. Ensuite quand bien même un Français aura obtenu du consulat le « droit » ( ! ) de se marier, la transcription de son acte ne sera pas acquise et les difficultés s’enchaîneront quand il s’agira de solliciter un visa pour le conjoint étranger ou encore de faire établir la filiation des enfants nés de cette union, si les transcriptions ne sont pas autorisées ou tardent à être établies.

Aux dispositions de ce texte s’ajouteront celles de la loi « Sarkozy » : renouvellement tous les ans de la carte de séjour temporaire du conjoint étranger, qui lui sera retirée en cas de divorce, délai de vie commune porté à 4 ans (et 5 ans pour les conjoints de Français de l’étranger) avant de pouvoir demander la nationalité française.

A une époque où la mondialisation de l’économie amplifie les mouvements de populations et donc les mariages à l’étranger, notre gouvernement, dans une démarche typiquement réactionnaire, se crispe dans l’impuissance du repli et du rejet. La nouvelle étape législative que franchissent le gouvernement UMP et sa majorité parlementaire est clairement xénophobe. Elle trahit, à un an de l’élection présidentielle, la stratégie UMP de conquête des électeurs d’extrême droite.

Monique Cerisier ben Guiga
Sénatrice représentant les Français établis hors de France


Publié le 30 avril 2006