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BIP n° 20 - Caricatures : un combat mal ciblé

Une bonne histoire juive, racontée par un juif, est un instant d’humour merveilleux. Racontée sur un autre ton, par un non juif, la même histoire devient antisémite. La signification d’un message dépend de son style, de celui qui parle, de celui à qui on s’adresse.

Il n’est pas inutile de rappeler ces notions au moment où la polémique fait rage en Europe et au moment où sont suscitées des émeutes anti-européennes par certains pays arabes à propos de douze caricatures de Mahomet.

Il n’est pas inutile de rappeler que ces dessins ont été commandés par un journal de droite à gros tirage qui diffuse des clichés islamophobes racistes au Danemark. Dans ce pays, le leader d’extrême droite Pia Kjaersgaard a pu comparer les musulmans à une « tumeur cancéreuse » sans avoir d’ennui avec la justice. Ces dessins, de mauvaise qualité graphique et pas très drôles, à deux exceptions près, étaient donc des flèches lancées contre les musulmans du Danemark, minorité immigrée victime de xénophobie. Pour moi, il est préférable de défendre par le débat et la mobilisation laïque plutôt que par la provocation raciste, la liberté de pensée, le droit de changer de religion, d’être athée, auxquels je suis attachée.

Ce ne sont pas des dessins humoristiques anodins comme tous ceux qui visent, par exemple, les femmes en France et dont nous prenons le parti de rire sauf s’ils offensent notre dignité humaine. C’est une expression de l’arabophobie et de l’islamophobie qui sévit en Europe, va en s’aggravant, et dont les Arabes et les musulmans ont à souffrir, avec le cortège d’humiliations et de discriminations qui est leur quotidien. Enlèvements en Irak, attentats à Londres, émeutes meurtrières au Pakistan, fatwas contre Salman Rushdie et Taslima Nasreen : les Arabes d’Europe sont vite englobés dans la condamnation, les accusations de barbarie et de fanatisme. Ils en souffrent.

Les Arabes et les musulmans, y compris les non pratiquants et les non-croyants, sont légitimement irrités par le « deux poids – deux mesures » qui les frappe de la part des Européens. On affirme que la publication de ces dessins relève de la défense de la liberté de presse. C’est à la foi vrai et faux. C’est vrai parce que la réaction démesurée organisée par des gouvernements arabes, qui bâillonnent et emprisonnent leurs journalistes, justifie que les journaux de tous les pays d’Europe qui bénéficient de la liberté de la presse et la défendent soient solidaires. Mais c’est faux dans la mesure où le consensus social met des limites : les dessins misogynes ont baissé le ton, on ne caricature pas les SDF et à peine les supporters du Paris-Saint-Germain. La loi a mis des bornes, l’église catholique ne se prive pas d’attaquer la presse devant les tribunaux et elle gagne. L’antisémitisme est un délit. Mais Oriane Fallaci peut publier des textes orduriers contre les Arabes : c’est un succès de librairie.

Les régimes politiques arabes, dictatoriaux, manipulateurs sont détestables. Les Islamistes, version Frères Musulmans ou Djihadistes, sont aussi violents et intolérants que l’étaient Catholiques et Protestants au 16ème siècle. Il faut lutter contre eux tout en prenant conscience du fait que l’islamophobie peut devenir, pour nos sociétés contemporaines, un racisme communément accepté qui fait le jeu des extrémistes musulmans et des dictatures arabes.

Défendons la liberté de presse mais n’oublions pas qu’en France, la liberté de la presse est menacée en réalité par la concentration de la presse écrite, de la télévision, de l’édition et de la distribution dans les mains de deux groupes industriels et financiers. Il faut mener le combat contre ces monopoles et non le combat de dupes dans lequel nous a engagés le Jyllands-Posten de Copenhague.

Monique Cerisier ben Guiga
Sénatrice représentant les Français établis hors de France


Publié le 09 février 2006