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BIP n° 2

« Le modèle français est mieux compris dans l'Union » s'est félicité le Premier ministre devant les parlementaires réunis en Congrès à Versailles le 28 février pour voter l'adaptation de notre constitution au Traité constitutionnel européen. Et d'expliquer : « Les conventionnels ont construit un traité qui laisse une grande place à l'esprit français dans leur ambition européenne », avec pour avantage que le texte « est bien écrit, en net progrès » ( par rapport à la rédaction du Traité de Maastricht).
Le professeur Raffarin a ainsi concédé une bonne note au traité. Bien écrit, des progrès, esprit français. On retrouve avec accablement la France arrogante donneuse de leçons et mesurant à son aune le vaste monde : le Traité constitutionnel, l'Europe, oui, nous pouvons approuver, car finalement ils sont assez français…

Cette attitude franchouillarde est non seulement risible mais grave.
D'abord elle nous rend insupportables, et nous qui vivons à l'étranger savons trop l'image déplaisante qu'une certaine classe politique donne d'elle-même.
Ensuite, à demander sur le Traité constitutionnel un « oui » français, au nom de la France, le gouvernement risque de récolter un « non » français, également au nom d'une France lasse de la politique menée.

S'en réjouir serait une triple erreur.

Faire une quatrième fois la nique à Chirac, en votant non au referendum, procurerait sans doute un grand plaisir, mais totalement inutile. Echec des candidats UMP aux cantonales, régionales, européennes, désastre électoral pour sa majorité… et toujours le même gouvernement Raffarin. Pour s'en débarrasser c'est dans les urnes législatives et présidentielles qu'il faut mettre un bulletin « non », ce qui implique que la gauche, et en premier lieu le PS, ait d'ici deux ans des solutions alternatives solides à proposer aux Français - ce qu'on appelle un « projet ». Nous y travaillons.

Ce serait ensuite une erreur d'analyse, car cela reviendrait à innocenter l'UMP, en rendant l'Europe responsable des dégâts de sa politique. Il est légitime de s'opposer aux reculs sociaux, aux licenciements boursiers, aux baisses d'impôts pour les privilégiés, à la suppression des 35 heures, aux réductions d'effectifs et de moyens pour la Santé, l'Ecole, les consulats, l'aide sociale, et la liste est longue. Mais tout cela est l'œuvre délibérée du libéralisme au pouvoir. Ni le Traité constitutionnel ni l'Europe n'en sont responsables, ou alors il faudrait remettre en cause la construction européenne depuis le Marché commun.

Enfin, ce serait un recul de l'Europe que de voter pour ou contre une politique française, en fonction d'une situation française, et non pour ou contre un enjeu européen. On nous dira que la conscience européenne est bien faible, qu'aux dernières élections dans notre pays seuls 43,50 % des électeurs se sont déplacés, et encore une partie d'entre eux l'ont-ils fait pour des motifs de politique intérieure qui n'avaient rien à voir avec l'Europe. C'est hélas vrai. Tant que les élections européennes n'auront pas lieu le même jour dans tous les Etats membres, elles seront tributaires des enjeux locaux. D'ici là, il faut expliquer, faire connaître, travailler pour que l'Europe soit une ardente volonté et non l'otage de débats hexagonaux.

Dans cette perspective, le Traité constitutionnel nous offre de nouveaux outils : plus de démocratie, une plus grande lisibilité des institutions, une permanence dans les fonctions, sans compter les incontestables avancées en matière de droits civiques et sociaux. 
C'est pour cela qu'il faut voter « oui », et non parce qu'on y retrouve « la pensée française ».

Richard Yung


Publié le 01 mars 2005