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Où est passée la stratégie de Lisbonne ?

Alors que s’ouvre le premier Conseil européen de la Présidence portugaise et que l’attention des Européens est focalisée sur le projet de traité simplifié, je souhaiterais me pencher sur un thème tout aussi capital et qui sera au menu des chefs d’Etat et de gouvernement : la stratégie de Lisbonne. Je voudrais en particulier insister sur les retards pris dans l’application du programme fixé en 2000, lorsque les Etats membres avaient décidé de faire de l’Union européenne l’« économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » d’ici 2010.

Loin de moi l’idée de nier les atouts dont dispose l’Union européenne, notamment dans les domaines de l’aéronautique, de l’espace, des télécommunications, etc. La livraison du premier Airbus A380 prouve d’ailleurs que l’Europe est capable d’audace technologique. Cependant, ce succès ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Il faut en effet rappeler que l’Europe n’investit pas assez dans la recherche et l’innovation. Elle consacre seulement 2% de son PIB à la recherche-développement, tandis que les Etats-Unis et le Japon y affectent 3% de leur richesse nationale. Au rythme actuel, il est peu probable que l’objectif fixé à Lisbonne (3% du PIB consacrés à la R&D) soit atteint d’ici à 2010. D’autre part, il est déplorable de constater que les projets Galileo (futur système européen de radionavigation et de positionnement par satellites) et Quaero (moteur de recherche européen) sont de nouveau au point mort.

Outre le fait que la stratégie de Lisbonne ne constitue pas encore une priorité budgétaire de l’Union européenne, il me semble que son échec – provisoire, je l’espère – est en partie dû à l’immobilisme de la France et aux déficiences de son système d’innovation. En effet, hormis la création des pôles de compétitivité, la stratégie de Lisbonne n’a pas trouvé d’application concrète en France. Rappelons que le budget public français de recherche-développement est passé de 1 à 0,8% du PIB entre 2002 et 2005 et que, qualitativement, le dispositif français reste très axé sur la recherche publique, en particulier militaire. Quant aux entreprises, elles participent insuffisamment à l’effort d’innovation (elles injectent seulement 1% du PIB dans la R&D contre 2,2% au Japon) et coopèrent peu ou pas avec les centres de recherche universitaires.

De mon point de vue, la relance de la stratégie de Lisbonne passe aussi par la relance d’une politique d’innovation dans notre pays. La France doit constituer, au côté de l’Allemagne, le moteur d’une véritable politique industrielle européenne fondée sur des investissements massifs dans l’innovation et la recherche. Pour ce faire, de nombreuses initiatives doivent être prises : accroître les dépenses publiques consacrées à la recherche-développement et améliorer leur efficacité ; abandonner le saupoudrage des crédits dans des filières sans avenir ; favoriser l’interpénétration entre recherche fondamentale et appliquée ; conditionner les aides aux entreprises et la baisse de l’imposition des sociétés au niveau des bénéfices réinvestis dans la recherche-développement ; soutenir les entreprises innovantes en réformant le crédit d’impôt recherche ; proposer la création d’une agence européenne de l’innovation ; relancer les programmes industriels européens, etc. Les défis à relever sont donc considérables.

Signalons enfin qu’un premier pas important vient d’être franchi par la France. La mise en application de l’accord de Londres sur la réduction du coût des brevets européens, dont nous avons récemment autorisé la ratification, stimulera les investissements en matière d’innovation et de recherche. Cette étape doit également faciliter la création d’un brevet communautaire. Gageons en tout cas que lorsqu’elle présidera l’Union européenne, au second semestre 2008, la France s’attachera à relancer ce projet fondamental en trouvant un compromis avec l’Allemagne.

Richard Yung


Publié le 19 octobre 2007