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BIP n° 4 - La relation transatlantique s'améliore-t-elle ?

Trois jours d’entretiens à Washington (14, 15 et 16 mars) avec des parlementaires, des diplomates, des chercheurs et des journalistes dans le cadre d’une mission d’information de la commission des affaires étrangères (compte-rendu intégral à paraître sur le site fin mars) m’inspirent une réponse nuancée.

Dans le ton et sur la forme, la page de la guerre d’Irak étant à leurs yeux tournée, les Etats-Unis ont modifié leur approche de l’Union européenne et de ses Etats membres dont la France, qui reste toutefois soupçonnée de vouloir faire de l’Union européenne un contrepoids à leur puissance (Phil Gordon – Brookings Institution). Les itinéraires, les rencontres et les discours lors des visites en Europe de Georges Bush et de Condolezza Rice prouvent que l’Union européenne existe en qualité de partenaire politique de premier plan des Etats-Unis pour la gestion des affaires internationales. C’est là que se regroupent les alliés solides des Etats-Unis. Selon M. Dan Fried (futur directeur d’Europe et d’Asie au département d’Etat), les Etats-Unis et l’Europe représentent « le quorum des démocraties et de la légitimité ». Il affirme que la France est « un partenaire fiable, intelligent » avec lequel une action commune produit des résultats comme le prouve l’évolution du Liban. De même le soutien de l’Union européenne et de ses Etats membres au processus démocratique en Ukraine s’est révélé crucial et fait espérer aux Américains qu’une action conjointe des Etats-Unis et de UE pourrait arrêter la dérive despotique du Président Poutine.

Toutefois, selon Simon Serfaty (spécialiste de l’Europe au CSIS-Center of Strategic and International Studies), il faut parler de « trêve » plutôt que de réconciliation : Georges Bush a découvert que les Etats-Unis ne sont pas aussi forts qu’il le croyait (il est difficile de sortir seul de la guerre d’Irak par exemple) et que l’Union européenne a des moyens d’action internationale non militaire utiles. Mais, selon lui, Bush n’a pas changé. Il tente des actions communes avec l’UE mais « il tranchera en fonction des résultats ». Si les Européens ne sont pas efficaces à ses yeux il abandonnera Rice et Hadley, qui lui conseillent cette politique, au profit de Rumsfeld et de Cheney qui y sont hostiles.

La collaboration des Etats-Unis avec l’UE et certains des Etats-membres sur des dossiers difficiles va continuer et probablement s’accentuer. Sur l’évacuation du Liban par l’armée syrienne afin que des élections vraiment libres puissent se tenir au printemps, les contacts sont quotidiens entre la France et les Etats-Unis. Sur la lutte contre le programme d’armement militaire de l’Iran, Georges Bush a décidé, à la suite de son voyage en Europe, de soutenir l’initiative diplomatique franco-germano-britannique. Il s’agit d’amener le gouvernement iranien à renoncer à ce programme en échange d’une normalisation de ses relations internationales et d’avantages économiques. Mais la différence d’analyse reste : Les Européens donnent la priorité à l’arrêt du programme nucléaire alors que les néo-conservateurs américains, toujours influents, donnent la priorité au changement de régime.

Les sources de désaccords et même de conflits restent malgré tout nombreuses. Ainsi, le projet de l’Union européenne de mettre fin à son embargo sur les ventes d’armes létales à la Chine est le sujet actuel de discorde le plus grave et le restera si la discussion stratégique que les Américains réclament à l’Europe sur ce sujet n’a pas lieu ou ne débouche pas sur un compromis acceptable pour eux. Nos interlocuteurs diplomates et parlementaires ont exprimé leur vive désapprobation et leur souhait d’un débat entre l’UE et les Etats-Unis avant la décision effective. Ainsi le sénateur Georges Allen (républicain de Virginie) a-t-il insisté sur le fait que c’était un signal politique inopportun en direction de la Chine qui vient de réaffirmer sa volonté de mettre fin à la sécession de Taiwan, de la Chine qui est un « compétiteur des Etats-Unis, un danger, un proliférateur » et qui n’a fait aucun progrès significatif en matière de respect des Droits de l’Homme. Les Européens, au premier rang desquels la France est citée, ont pris une décision « cynique » par « soif des contrats » (Dan Fried). En fait, les Américains considèrent la Chine comme un danger politique et militaire majeur pour eux dans l’avenir et ils s’opposent à ce que l’Europe normalise ses relations avec elle. Ils accusent en particulier la France de vouloir faire progresser un dialogue stratégique direct entre l’Union européenne et la Chine, à leur détriment.

La volonté réciproque de ne pas aborder trop de sujets qui fâchent a fait que des questions conflictuelles n’ont pas été abordées. La conception de la lutte contre le terrorisme, que les Européens n’envisagent pas comme une « guerre » mais comme un combat multiforme, la préférence européenne pour le multilatéralisme et par conséquent la défense de la prééminence de l’ONU, la volonté de rendre la Cour Pénale Internationale efficace alors que les Américains multiplient les pressions et les accords bilatéraux pour obtenir un résultat inverse, voilà quelques uns des sujets qui ne manqueront pas d’opposer les deux rives de l’Atlantique dans l’avenir. 

Face aux dangers qui menacent la planète, la prolifération nucléaire, les terrorismes, les guerres provoquées par les conflits ethniques et les revendications territoriales, la misère, les pénuries de denrées vitales comme l’eau, les pandémies, les Etats-Unis comme l’Union européenne ont le devoir de persévérer dans la recherche des terrains d’entente, tels que l’avenir du Liban ou celui de l’Ukraine (et au-delà l’avenir de la Russie et des pays issus de l’Empire soviétique). Entre l’Union européenne (dont la France) et les Etats-Unis, les valeurs morales et politiques, les intérêts stratégiques ou économiques divergent souvent mais cela ne doit pas empêcher le dialogue et la recherche de tous les accords possibles partout où l’union des deux continents les plus riches peut faire reculer la guerre et la misère. Aux préventions que nous avons à l’encontre des Etats-Unis répondent celles qu’ils ont à notre égard. Le « french bashing » et l’antiaméricanisme sont de même nature. Il ne peut en sortir rien de constructif. Pour sauvegarder l’avenir de la planète, plus d’intelligence et de volonté réciproque d’écoute sont, chaque jour qui passe, plus nécessaire. 

N’oublions pas le propos de Churchill au sortir d’un entretien avec le général de Gaulle : « C’est affreux d’avoir des alliés. Ne pas en avoir, c’est terrible ».

Monique Cerisier ben Guiga
Sénatrice représentant les Français hors de France


Publié le 24 mars 2005