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BIP n° 48 - Gratuité du lycée : un OBNI (objet budgétaire non identifié)

« Je vous promets la lune… mais à vous de concevoir la fusée et d’y mettre le carburant ». Voici les modalités de la promesse de gratuité scolaire - totale avant l’élection puis limitée au lycée une fois l’élection acquise - faite par le Président de la République aux Français de l’étranger.

En conséquence de quoi la commission de la culture et de l’enseignement de l’Assemblée des Français de l’Étranger a reçu mission d’élaborer un avis, aujourd’hui adopté. La solution retenue est de créer « une ligne budgétaire de bourses dédiée, distincte de celle des crédits alloués aux bourses scolaires ». Si le gouvernement suit cet avis, l’aide à la scolarisation des enfants français dans le réseau de l’AEFE et dans les écoles homologuées par le ministère de l’Éducation nationale se subdivisera donc en deux parties :

  • 47 M€ affectés aux bourses scolaires attribuées sur critères sociaux de la maternelle à la 3ème ;

  • 54 M€ affectés à la gratuité à partir de la seconde, pour tous les lycéens.

Nous sentons tous, à commencer par les élus à l’AFE qui ont adopté cet avis, que cela crée une situation fausse. Beaucoup d’idées intéressantes ont été exposées sur le forum de l’ADFE depuis une dizaine de jours. Il en ressort des axes de réflexion que je partage et reprends à mon compte.

D’abord, la promesse électorale de M. Sarkozy, c’est la gratuité totale, et non seulement la gratuité au lycée. Avec Internet en relais de la télévision, les paroles ne sont plus du vent, elles sont gravées sur les disques durs. Que l’UMP ne vienne pas dire maintenant qu’il n’a été question de gratuité qu’au lycée.

D’autre part, le financement de la promesse, même limitée aux lycées, est loin d’être acquis. Quand on sait que, depuis 5 ans, le gouvernement a transféré les coûts de scolarisation sur les parents d’élèves, provoquant une explosion des frais d’écolage sans que les crédits de bourses scolaires augmentent en conséquence, on ne peut pas croire que, du jour au lendemain, le gouvernement va plus que doubler le budget de l’aide à la scolarisation. Le ministre des Finances a-t-il été consulté ?

Au total, cette promesse électorale jetée en pâture aux électeurs, non expertisée et appliquée telle quelle, déséquilibrera l’AEFE. Celle-ci, sans prise sur les coûts de scolarité de la majorité des établissements, ne pourra faire face qu’en alourdissant les frais de scolarité de la maternelle et du primaire. Et ensuite, comment les élèves français formés dans les systèmes nationaux, faute d’avoir pu aller à l’école française, pourront-ils intégrer la seconde ? Faudra-t-il exclure les élèves étrangers pour faire de la place aux Français à la fin de la 3ème ? Qui financera les constructions et les équipements des classes de lycée en expansion ?

Une illusion a inspiré cette mesure : ce serait là le moyen de garder les élèves dans le système scolaire AEFE jusqu’au bac afin qu’ils poursuivent ensuite leurs études supérieures en France. Or, si les familles choisissent les universités du pays de résidence ou nord américaine, c’est qu’ils jugent ce choix préférable pour leurs enfants. Proximité, qualité, accueil, suivi, débouchés, la comparaison est en défaveur des universités françaises. Le coût du 2nd cycle AEFE intervient peu.

En conclusion, si doublement des crédits d’aide à la scolarisation il doit y avoir, qu’il soit affecté, sur critères sociaux très élargis, à l’ensemble de la scolarité, de la maternelle à la terminale, sans rupture d’égalité entre les citoyens français selon l’âge, sans discrimination envers les Européens sur la base de la nationalité. La scolarité deviendra gratuite pour toutes les familles qui la financent actuellement par elles-mêmes. Celles dont la charge scolaire est assumée par l’entreprise ou l’administration continueront à bénéficier de leur avantage, sans que cela pèse sur les contribuables. C’était l’option équitable et réaliste, défendue sans démagogie dans le programme socialiste. C’était l’option que les sénateurs socialistes, Richard Yung et moi-même, défendions.

Enfin, je suis persuadée qu’il est grand temps de sortir des schémas anciens, de faire porter l’effort sur les groupes FLAM et sur la création de sections bilingues avec Français renforcés dans les établissements scolaires étrangers des pays développés, où sont établis la majorité des Français. Les 2/3 des enfants français de l’étranger n’iront jamais dans les écoles AEFE. Binationales ou très intégrées dans le pays de résidence, leurs familles n’en ont pas moins la volonté de leur transmettre la langue française et notre culture. Il faut les y aider avec pragmatisme. C’est l’avenir des enfants. C’est l’avenir de la francophonie au XXIème siècle.

Monique Cerisier-ben-Guiga
Sénatrice des Français établis hors de France


Publié le 25 juin 2007