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BIP n° 17 - Femmes, Français de couleur : la politique de l'autruche

1945-2000. Pendant 55 ans, la France a mené la politique de l’autruche en ce qui concerne la discrimination à l’encontre des femmes, en matière de droits politiques et de tout ce qui en découle, en particulier la lutte contre les spécificités des injustices, des violences et des oppressions dont les femmes souffrent. Elles avaient le droit de vote, donc elles étaient pleinement citoyennes, donc il n’y avait plus de discrimination. C.Q.F.D.

Pour les Noirs ou Arabes ou Asiatiques ou métissés, qu’ils soient Français de France, des Antilles ou de la Réunion, c’était le même schéma. Dès lors qu’il avaient la nationalité française, qu’ils étaient allés à l’école de la République, le rejet dont ils faisaient l’objet de la part de la société dans son ensemble était nié. Et j’ai été de ceux qui pensaient et disaient – lors des débats sur les réformes du droit de la nationalité par exemple – que les discriminations qu’ils subissaient relevaient d’une phase transitoire de l’intégration, et qu’ils seraient un jour tout naturellement acceptés comme Français, comme l’ont été les Polonais, les Italiens, les Juifs d’Europe de l’Est et les Portugais.

L’erreur était dans le « tout naturellement ». Elle était dans l’angélisme d’une Française de l’étranger qui, littéralement, ne voit plus les différences ethniques, ou qui n’entend plus les prononciations exotiques du Français, tant la diversité culturelle et ethnique de la nation française s’impose avec la force de l’évidence.

Et pourtant, nos enfants français de l’étranger, à 60% plurinationaux, et donc souvent porteurs de patronymes arabes et africains, reconnaissables au visage, au teint, à la frisure de leurs cheveux, nos propres enfants étaient victimes en France depuis bien longtemps de discriminations au logement, à l’embauche, de plaisanteries « douteuses », voire d’agressions physiques. Nous édulcorions les faits, nous tempérions la révolte de nos enfants et nous feigniions de croire que les obstacles auxquels ils se heurtaient étaient ceux de leur classe d’âge.

Nous avions tort. Toute la France a eu tort. Les jacqueries qui ont explosé au mois de novembre dans les quartiers de relégation sont l’expression de la révolte à l’état pur. Comme les « Jacques » du XVIIe siècle, ces jeunes qui vandalisent se heurtent à une société aujourd’hui aussi bloquée à bien des égards que celle de l’Ancien Régime.

C’est pourquoi j’estime qu’il est urgent de faire cesser la discrimination qui pèse sur les Français asiatiques ou noirs ou arabes… Actuellement, une discrimination de fait joue uniquement en faveur des Blancs. Alors oui, il est urgent de traquer la discrimination au faciès à l’embauche et dans les oraux de concours. Il est urgent de faire cesser la discrimination fondée sur l’adresse en banlieue. Il est urgent de faire du « testing » à grande échelle dans les entreprises et dans les services publics. Il est urgent de recruter des pompiers, des agents de police, des gendarmes, des journalistes de télévision, des étudiants de filières sélectives, qui sont visiblement arabes ou noirs, ou métis… et écartés de ce fait. A quand le recrutement de magistrats, de diplomates et de cadres supérieurs d’entreprise noirs ou asiatiques ou métis ou arabes, qui ne soient plus les exceptions qui confirment la règle ?

La contrainte remplacera une volonté vacillante, car cela ne se fera pas tout seul. On nous dira que les Français de couleur prennent des places jusqu’alors réservées aux têtes blondes, de même que, paraît-il, les femmes ont pris celles des hommes lors de l’instauration de la parité en politique.

La France vieillit, se racornit, ne crée plus assez dans le domaine des arts ni dans les secteurs scientifiques de pointe. Elle oblige sa jeunesse dynamique à chercher son avenir ailleurs. N’est-ce pas parce qu’elle se prive des richesses intellectuelles et humaines de tous ces Français qu’elle rejette ?


Monique Cerisier ben Guiga
Sénatrice représentant les Français établis hors de France


Publié le 13 décembre 2005