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«Repartir sur des bases assainies»

Daniel Cohen, de l’Ecole normale supérieure, n’est pas hostile à l’idée d’une récession :

Recueilli par CHRISTOPHE ALIX
Libération : samedi 19 janvier 2008

Daniel Cohen est professeur d’économie à l’Ecole normale supérieure, à Paris. Il publiera en mars un ouvrage collectif: 17 questions d’économie contemporaine (Albin Michel).

Les Etats-Unis peuvent-ils éviter une récession ?
Tout dépendra de l’attitude de la banque centrale américaine (Fed) et de l’évolution de l’inflation, qui a atteint 4,1 % en 2007, un record depuis dix-sept ans ! Si la Fed peut la contenir, il n’y aura pas de limite à la baisse des taux, et on replongera dans cette fuite en avant que Ben Bernanke, son nouveau gouverneur, voulait initialement stopper: crise financière, baisse des taux, constitution de nouvelles bulles, et rebelote, une crise financière chassant l’autre dans un mouvement sans fin de correction d’un déséquilibre par un autre. Cette perpétuation de la croissance par le surendettement est très dangereuse. Socialement, comme on le voit avec la crise des subprimes qui pourrait s’étendre à tout le crédit et ruiner la consommation outre-Atlantique; économiquement, puisqu’elle maintient et amplifie des déséquilibres à l’échelle mondiale avec une instabilité financière généralisée.

Et en cas de récession ?
Cela permettrait d’apurer les comptes, de provoquer des faillites salutaires et de repartir sur des bases assainies. Ce n’est pas pire que de poursuivre cette fuite en avant. Les Américains vivent avec un taux d’épargne négatif depuis douze ans. Cela ne peut pas durer éternellement.

De quel côté va pencher la balance ?
La ligne de crête est très étroite. Il faut arbitrer entre plusieurs maux. Les Etats-Unis viennent d’opter pour une relance économique par le budget et une politique d’incitation monétaire. Mais le remède ne doit pas être pire que le mal. En cas d’aggravation de la menace inflationniste, la Fed ne pourra pas ne pas réagir. Dans l’immédiat, il est nécessaire d’alléger le poids de la dette des ménages les plus fragilisés, mais on ne peut pas se satisfaire d’une réponse politicienne de l’administration Bush qui passe par une distribution de cadeaux fiscaux et de crédits tous azimuts.

Quelle peut être l’étendue de la contagion en Europe ?
Dans le cas du scénario actuel, le dollar va continuer à baisser, l’euro à s’apprécier et le choc de croissance sera d’autant plus rude pour les pays dont le dynamisme dépend des exportations, tel l’Allemagne. Si le dollar se met à dévisser, la Banque centrale européenne n’aura d’autre solution que de baisser ses taux. Si la Fed infléchit sa politique, l’Europe subira elle aussi ce krach, mais sans effondrement du dollar et risque de change accru. Si l’Europe reste à l’abri d’une récession, sa croissance en 2008 ne dépassera pas les 2 % comme le prévoit l’OCDE. La question est de savoir si la France sera plus proche de cette fourchette haute, ou de la basse, entre 1 et 1,5 %.

Et si l’hypothèse basse l’emporte ?
Cela risque de compliquer l’équation politique de Nicolas Sarkozy. La France se retrouvera à nouveau avec un déficit budgétaire élevé, probablement au-dessus de la limite de 3 % autorisée par le pacte de stabilité. Une situation très délicate au moment où elle assurera la présidence de l’Union. Plutôt que de profiter de la croissance pour reconstituer des marges budgétaires afin de soutenir l’activité dans les phases de ralentissement - comme cela sera le cas en 2008 -, le gouvernement a préféré dégager 1% de PIB pour son paquet fiscal. Les conséquences de cette politique à contresens risquent de peser longtemps.

Pour quelles raisons ?
D’archi limitées, les marges de manœuvre de la France seront totalement réduites à zéro, et les ardeurs réformistes du gouvernement anéanties par l’aggravation des finances publiques. Je trouve cocasse qu’on ait opté pour un dispositif très avantageux d’heures supplémentaires au moment où ces dernières vont stagner, voire décliner, en raison du ralentissement de la croissance. Tout cela aura coûté très cher et n’aura strictement servi à rien.


Publié le 22 janvier 2008